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LE VICOMTE DE LAUNAY.

cris joyeux, ces bruyants vivat de compatriotes enivrés ne valent pas la voix émue d’un père qui dit : « C’est bien, mon fils, je suis content de toi. » Studieux Gérard, ceci est un des secrets de la vie ; la gloire s’achète aux dépens des affections ; les grands et merveilleux succès sont ceux qui coûtent le plus cher, car c’est le cœur qui les paye ; les destins de ce monde sont ainsi partagés, de grands revers et d’heureuses amours. De grands succès pour des cœurs déchirés !

Tout cela fait rêver : un jeune mulâtre qui remporte le prix d’honneur en concurrence avec les fils du roi, et ce prix d’honneur donné aujourd’hui par un ministre, l’ancien élève Villemain, qui l’a remporté lui-même il y a vingt-sept ans. N’est-ce pas là le plus beau rêve d’égalité réalisé ? Le prix au plus capable, mais le droit de concours pour tous. Non, ce n’est pas cela qu’on veut : on ne sera content que lorsque le plus ignorant sera couronné ; lorsque les fils du roi seront mis hors de concours et que les noirs seront reconnus les blancs.


LETTRE VINGT-DEUXIÈME.

Le lion véritable ; définition de ce mot. — La Saint-Louis à Versailles. — Le tournoi d’Eglington. — Le cheval d’Auriol. — Les faux chasseurs.
6 septembre 1839.

Il est venu, le jour où le Parisien lui-même rougit de Paris. Le mois de septembre est la saison maudite, la véritable saison morte de la grande ville. Courageux est l’homme indépendant qui ose se montrer sur le boulevard à cette époque. C’est maintenant que la fausse absence est une nécessité, un devoir d’élégance dont tout lion qui se respecte ne saurait s’affranchir. À l’heure qu’il est, il ne doit plus y avoir dans Paris d’autres lions que ceux de la Porte-Saint-Martin. Ceci nous fait penser que ce mot anglais, si promptement adopté, ne signifie rien ici comme on l’emploie. Depuis quelque temps, toute personne élégante est honorée du titre de lion ; on compte une vingtaine de lions par coterie : toute femme qui a de beaux diamants, de hautes dentelles, de grands chevaux et un bon cuisinier, qui se montre au spectacle, aux courses et aux fêtes brillantes, est classée parmi les lionnes,