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LE VICOMTE DE LAUNAY.

un magnifique héritage, parce qu’il a couru sur un cheval de pur sang avec une casaque de jockey, parce qu’il descend de ballon à l’instant même et qu’il rapporte des nouvelles toutes fraîches de l’Empyrée, parce qu’il est légèrement soupçonné d’avoir empoisonné sa femme, ou quelquefois pour bien moins que cela ; quelquefois c’est tout bonnement parce qu’il vient de publier un livre plein de génie qui a obtenu un immense succès. Mais on n’est lion qu’un moment dans sa vie ; la charge de lion n’est pas une place inamovible. Être le lion de la soirée, c’est être l’atout de la partie, et, vous le savez, la royauté de l’atout cesse quand le coup est joué.

Ne dites donc plus inconsidérément : « Nos lions ont adopté telles modes… toutes nos lionnes assistaient à cette représentation… » C’est comme si vous disiez : « Trèfle et carreau sont atouts ; » c’est comme si vous disiez, et cela vous le dites souvent : « Une foule de personnes distinguées, etc., etc. » Ne confondez pas le dandy et le lion, la merveilleuse et la lionne ; ils ne sont point de la même famille : le dandy est celui qui veut se faire voir, le lion est celui qu’on veut voir ; la merveilleuse est celle qui cherche tous les plaisirs, la lionne est celle que toutes les fêtes réclament, et sans laquelle il n’est point de plaisirs. The lion (prononcez l’âne) est dans une brillante soirée ce que la mariée est dans une noce, ce que le nouvel élu est dans une réception académique, ce que le Parisien est dans une petite ville de province, ce que l’accusé est dans un procès, ce que la victime est dans un sacrifice, ce que la girafe est au jardin des Plantes, enfin ce qu’était autrefois le lion dans la ménagerie. Exemple : à la Porte-Saint-Martin, qui est le lion ? ce n’est pas le tigre, ce n’est pas le léopard, ce n’est pas l’agneau, ce n’est pas le lion : c’est M. Van Amburgh.

Nous disons donc que la solitude de Paris est extrême, et que nul en ce moment n’ose l’habiter. Le dimanche est le jour de l’abandon général ; non-seulement ce jour-là il n’y a plus personne dans Paris, mais vous ne trouvez même plus de voiture pour vous conduire hors de Paris. Fiacres, cabriolets, citadines, milords, carrosses de remise, tout a disparu ; vous parcourrez en vain la ville dans tous les sens, vous dépêcherez en vain les messagers les plus actifs, vous interrogerez en vain