Page:Œuvres complètes de Delphine de Girardin, tome 4.djvu/407

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
401
LETTRES PARISIENNES (1839).

Voilà donc quels étaient les plaisirs d’une femme à la mode en l’an de grâce et de gloire 1812 ! Voyons maintenant quelle différence il y a entre les plaisirs de ce temps et ceux du nôtre, entre les élégantes de l’Empire et les élégantes de… Juillet…, du juste-milieu…, du règne de Louis-Philippe…, de la seconde révolution…, de… Comment donc appellera-t-on ce temps-ci ? Nous n’avons aucune idée du nom que l’histoire lui donnera. On dit le Consulat, l’Empire, la Restauration, que dira-t-on de nous ? Qu’importe ? cela ne nous regarde pas ; disons tout simplement : les élégantes d’aujourd’hui.

En 1812, une jolie femme lisait jusqu’à trois heures du matin Mademoiselle de la Fayette, par madame la comtesse de Genlis, et, rêvant de Louis XIII, de madame de Brégy, de M. de Roquelaure, elle s’endormait, doucement bercée par les tendres souvenirs d’un roman gracieux où les sentiments les plus purs même se voilent, où l’amour se perd dans un labyrinthe de délicatesses infinies. — Aujourd’hui, quels livres avons-nous pour endormir une jolie femme ? Mauprat, par George Sand ; les Mémoires du Diable, par M. Frédéric Soulié ; l’Auberge rouge, par M. de Balzac, et les romans maritimes de M. Eugène Süe, c’est-à-dire des brigands, des démons infernaux, des assassins de grandes routes et des corsaires. Bonsoir, madame ; nous vous souhaitons les plus doux rêves.

En 1812, une femme de chambre s’appelait Charlotte ; aujourd’hui, c’est la maîtresse qui se nomme ainsi : la soubrette se nomme Célestine, Amélie, Laure ou Adrienne.

Elle n’entre plus chez sa maîtresse à onze heures ou midi, mais bien à huit heures du matin, ce qui est très-différent ; et la jeune femme, au lieu de rester je ne sais combien de temps à tortiller son madras autour de sa tête, met à la hâte, et cependant avec coquetterie, un joli bonnet de dentelle que lui a envoyé mademoiselle de la Touche, et va rejoindre dans le salon d’étude sa petite fille dont elle surveille elle-même les leçons. Car la maternité est la passion du jour, et c’est une justice que l’on doit aux mœurs de notre époque : si l’on voit dans le monde des femmes légères, on n’y voit point de mères indifférentes.