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LE VICOMTE DE LAUNAY.

feu avant la Toussaint, c’est la règle. Ce n’est point par avarice, c’est par système ; car, une fois la Toussaint venue, il mettrait le feu à la maison sans y regarder. Ses gens vous accablent des combustibles les plus variés, de bûches énormes, de charbon de terre, de sarments, de mottes, de pommes de pin ; ils ne vous refusent plus rien, la Toussaint est venue ! — Eh bien, l’année prochaine, arrangez-vous pour n’aller chez Demersac qu’après la Toussaint. — Je me suis déjà arrangé pour l’année prochaine : je compte n’y pas aller du tout.

— Moi, reprend un autre voyageur, j’ai passé mon été très-agréablement, tantôt chez ma cousine de Bellerive, tantôt chez mesdames Letilloy, toutes femmes éminemment spirituelles (il y a des gens qui ne connaissent que des femmes éminemment spirituelles, et qui, par malheur, ne racontent jamais d’elles que les plus lourdes niaiseries) ; je me suis fort amusé ; par exemple, dans nos promenades, ma cousine de Bellerive était insupportable. Elle a l’horreur des crapauds, elle en voit partout ; elle me rendait l’homme du monde le plus malheureux ; à chaque instant elle m’appelait : « Mon cousin, un crapaud ! un crapaud, mon cousin ! » J’avais beau lui dire : C’est une grenouille ! elle s’enfuyait ; et il nous fallait prendre un autre chemin ; et puis elle ne peut pas marcher sur l’herbe ni sur le chaume, ça lui fait mal au cœur. De sorte que nous ne pouvions jamais nous promener que sur la grande route, ce qui n’était pas toujours très-champêtre. Mesdames Letilloy, c’est tout autre chose : elles sont braves, ces deux jeunes femmes. Ce ne sont point des petites-maîtresses, elles n’ont peur ni des crapauds ni des couleuvres ; ça me va, ces femmes-là. Ce sont de vraies voyageuses, elles sont ravissantes à la campagne : seulement madame Édouard est un peu mauvaise joueuse, elle a de grandes prétentions au billard, et quand elle perd, elle entre dans des fureurs épouvantables. C’est de l’orgueil, mais c’est égal, elle est quelquefois bien dure : un jour, elle a voulu me faire accroire que j’avais triché, vraiment ; et puis, une autre fois que sa belle-sœur l’avait gagnée, elle était si fâchée contre elle, qu’elle est allée jusqu’à lui reprocher sa naissance : madame Auguste est la fille d’un charcutier, mais riche, riche, riche ; ça m’a fait bien de la peine. Cette pauvre petite madame