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LETTRES PARISIENNES (1836).

morale gagnera sans doute à l’abolition du pâté. D’ailleurs les canapés à galerie les remplacent avec tant d’avantage ! Quoi de plus charmant qu’un canapé à galerie placé au milieu d’un salon ! Toutes les conversations deviennent faciles, mots insinués à voix basse, causeries générales, tous deux ensemble quelquefois.

Voyez quel tableau séduisant : deux femmes sont sur ce canapé, d’autres femmes sont assises sur des fauteuils devant elles ; puis, derrière le canapé, deux jeunes gens se placent sur des chaises légères : la galerie du canapé est si basse qu’elle ne les cache point ; ils font partie du même groupe, et pourtant le moindre mot les en sépare ; puis un papillon de conversation vient se poser sur un des côtés du canapé ; il s’y appuie nonchalamment quelques minutes, laisse tomber quelques paroles, puis il retourne où on l’attend ; il va séduire un peu plus loin. On s’ennuie rarement dans un salon où se trouve un canapé à galerie ; les rapprochements sont si faciles : on se rencontre sans avoir l’air de se chercher ; rien n’y a l’air d’une démarche ; on y salue naturellement la femme avec laquelle on est brouillé ; on lui parle malgré ses résolutions orgueilleuses, parce qu’elle est là, et qu’il ne faut point traverser un grand cercle pour lui parler. Quand un salon est bien distribué, les réconciliations de coquetterie y sont très-promptes. Malheur aux salons où la circulation est difficile, on y reste toujours brouillés, et, par instinct, les jours de bouderie on n’y va pas. Il faudrait là se commettre par toutes sortes de bassesses pour arriver à se rejoindre, et la dignité est une chose si importante dans la coquetterie ! Un salon dont les meubles sont maladroitement rangés peut compromettre tout l’avenir d’un cœur sensible. Les pâtés avaient donc cela de fâcheux qu’ils gênaient la circulation ; car rien n’est moins éclairé que notre esprit d’imitation en France : nous voyons des pâtés dans les salons de l’ambassade d’Angleterre, qui sont immenses, et où ils n’ont aucun inconvénient ; alors tout de suite nous en voulons avoir dans nos petits salons, où ils rendent la moindre démarche impossible. Nous avons admiré les petits Dunkerque chez madame de R…, ou chez madame de D…, qui occupent à elles seules de magnifiques hôtels, et qui peuvent remplir d’objets