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LE VICOMTE DE LAUNAY.

né en Allemagne : voilà ce qui est amusant, voilà ce qui occupe l’existence. Supprimez les prétentions dans ce cher pays de la franchise et du naturel, et vous n’aurez plus qu’une population d’oisifs ennuyés.

Les prétentions tiennent lieu des passions en France ; ce sont elles qui font les révolutions ; personne ne veut rester à sa place, chacun veut embrasser la profession de son voisin ; on a horreur de ce qu’on sait, et l’on ne cultive avec plaisir que le talent que l’on n’a pas. Les hommes politiques s’épuisent à chercher la cause de nos troubles éternels, ils se demandent pourquoi les Français sont maintenant impossibles à gouverner : c’est que depuis cinquante ans, en détruisant chez nous toutes les croyances, on a excité toutes les prétentions ; c’est qu’il est bien difficile d’administrer un pays où personne ne veut faire ce qu’il sait faire, où l’on ne trouve pour exercer avec empressement telles ou telles fonctions que des ignorants qui justement ne seraient propres qu’à des fonctions opposées ; c’est enfin que les hommes politiques qui se préoccupent de ces difficultés ne sont pas eux-mêmes à la place où ils devraient être. Or, comme il faut que l’ordre se rétablisse, avant que le bon sens revienne, avant que les militaires consentent à être des militaires, que les gens d’affaires se résignent à être des gens d’affaires, que les financiers se bornent à être des financiers ; comme il faut avant cela qu’il se passe au moins cinquante autres années de querelles, de bouleversements et de sanglantes explications, nous prenons la politique en patience, et nous constatons seulement la cause de toutes ces crises gouvernementales, en disant : La France n’est le pays des révolutions que parce qu’elle est le pays des prétentions. Le jour où chacun de nous mettra son orgueil dans les qualités qu’il tient de Dieu, nous serons guéris et le monde se reposera…

Mais voilà que nous-même nous sortons de notre rôle. Hâtons-nous vite d’y rentrer. Les salons commencent à se repeupler ; à chaque moment on apprend le retour de quelque beauté célèbre. Des voitures de poste traversent Paris dans tous les sens. Les femmes nouvellement arrivées reçoivent de flatteurs compliments : « Que l’air de la campagne vous a fait du bien ! que vous êtes embellie, madame ! disent les empressés.