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LETTRES PARISIENNES (1839).

Les femmes ont-elles donc maintenant le monopole des entreprises courageuses ? Pendant que mademoiselle d’Angeville franchissait le mont Blanc, la belle et spirituelle Améric Vespuce parcourait le nouveau monde, entourée d’hommages et de respects. Des souscriptions s’organisent déjà dans les principales villes des États-Unis, afin de donner à la petite-fille d’Améric Vespuce les moyens d’acquérir des terres dans cette partie du monde que son aïeul a nommée. Les Américains généreux ont senti le besoin de reconnaître enfin les grands services que cette ancienne famille a rendus, et qui n’ont jamais été récompensés. On nous dépeint toujours les habitants des rives du Mississipi et de l’Ohio comme des sauvages, ou bien comme des négociants avides. Vous voyez qu’ils sont artistes comme nous, puisqu’ils se laissent séduire comme nous par le talent et la beauté.

Nous venons de parcourir les magasins de Giroux, de Susse, de Cresson, et ce qui nous a frappé dans les nouveautés de l’année, c’est une tendance à la fois effrayante et flatteuse vers le genre oriental. On voit que le commerce est lui-même vivement préoccupé de la question d’Orient. Ce sont des sachets orientaux excellents pour donner la migraine, des boîtes de parfums orientaux, des vases enveloppés de filigranes d’or comme les tasses à café des Orientaux. Le genre gothique s’oublie, le Louis XV s’éloigne, le genre oriental l’emporte décidément. Depuis que la charte est devenue une vérité turque, le luxe asiatique est devenu une vérité, c’est-à-dire une vanité française. Lequel de ces deux peuples, turc ou français, doit gagner au change ? L’avenir nous répondra. Enfants de Mahomet, portez donc fièrement nos étoffes constitutionnelles, notre drap libéral et radical fait à Louviers, et cédez-nous vos magnifiques châles et votre drap d’or, manteau du despotisme ; donnez à vos femmes des chapeaux de la rue Vivienne et des bonnets à la fermière. Les nôtres ont déjà pris le turban. Ô grand peuple ! quelle est ton erreur ! que de peines tu te donnes pour te déciviliser ! Crois-tu donc que nous sommes libres parce que nous sommes laids, et penses-tu trouver l’indépendance dans un habit qui te gênera ? Tu avais du moins la liberté de tes bras, c’est la meilleure, et tu la changes, pour quelle liberté,