Page:Œuvres complètes de Delphine de Girardin, tome 4.djvu/437

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
431
LETTRES PARISIENNES (1839).

mais les levrettes sont frileuses, il faut toujours s’occuper de leur habillement : on les a laissées aux femmes sensibles. Les élégantes n’ont pas le temps de s’occuper même de l’objet de leur caprice. Une levrette demande presque autant de soins qu’un enfant ; les levrettes sont jalouses, passionnées, caressantes, elles veulent qu’on les aime, qu’on les comprenne : on n’en veut plus.

Les singes ont eu un moment favorable dans l’histoire des animaux à la mode ; dans le temps où ils ressemblaient aux hommes, on s’amusait de leurs grimaces ; mais depuis que ce sont les hommes qui leur ressemblent, ils ont perdu le piquant du contraste : on n’en veut plus.

Les perroquets ont de même été fort appréciés aux jours du despotisme. On leur apprenait à crier toutes sortes de paroles séditieuses qu’on n’osait pas dire. C’étaient des gazettes emplumées qui obtenaient de grands succès. Aujourd’hui que l’on peut tout dire, excepté la vraie vérité, aujourd’hui que l’éloquence est reine du pays, les perroquets donnent de l’ombrage, on a peur de la concurrence : on n’en veut plus.

Quel est donc l’animal qu’on aime ? La mode est-elle déjà venue d’élever dans les salons de jeunes tigres, de petits ours, des lionceaux, de mignonnes panthères ? — Non ; l’animal dont il s’agit est très-peu bruyant, il a des mœurs très-pacifiques : c’est tout simplement une tortue, mais une toute petite tortue rapportée ou envoyée d’Afrique ; car cet animal qui n’a point de cri est cependant lui-même un langage, il signifie : J’ai un ami, un frère, un oncle en Algérie ; il m’a envoyé des écharpes de cachemire, des burnous arabes, des flacons d’essence de jasmin et des portefeuilles en brocart d’or, toutes choses qui viennent ordinairement avec les tortues… Cet animal a un très-grand avantage sur tous les autres favorisés jusqu’à ce jour. On n’a jamais besoin de penser à lui ; on oublie de lui donner à manger pendant un mois, il n’y prend pas garde, il ne vous en veut pas ; on le laisse tomber par la fenêtre, il ne s’en porte que mieux ; on marche dessus, il ne le sent pas. C’est l’idéal de la demoiselle de compagnie, supportant toutes sortes de mauvais traitements sans se plaindre, et sachant vivre dans l’abandon sans jamais paraître s’ennuyer. C’est enfin