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LE VICOMTE DE LAUNAY.

agréable plaisir. On éprouve aussi de cruelles difficultés dans l’achat de la moindre étoffe. L’aune, la demi-aune, la toise et le pied de nos pères sont vivement regrettés. Le mètre et le centimètre sont en général mal accueillis. Quant à nous, nous ne saurions leur pardonner de changer tout notre langage. Comment ! nous ne pouvons plus dire : Je l’ai toisé avec mépris ; — ou bien : Il a un pied de nez, sans payer une amende ! Il faudra dire : Il a douze centimètres de nez ! Voyez un peu à quoi le gouvernement nous expose !

Les lettres que nous recevons de Rome parlent avec enthousiasme de M. le duc de Bordeaux. On vante ses manières dignes et simples, et chacun s’accorde pour dire qu’il a vraiment beaucoup d’esprit. Ce qui le prouverait, c’est la peine que lui causent les éloges maladroits que font de lui certains journaux légitimistes. Les lourdes louanges de la Mode, entre autres, le contrarient horriblement. En effet, ce pauvre journal a du malheur ; ses injures sont si grossières et ses éloges si plaisants, qu’il rend intéressant tout ce qu’il attaque, et ridicule tout ce qu’il vante.

Nous recevons à l’instant une brochure dont le titre nous paraît être naïvement orgueilleux : le Créateur et les mondes, ou l’Ensemble et le vrai mécanisme de l’univers. Ces pages remarquables commencent ainsi : « Il n’est pas très-difficile d’acquérir la certitude de l’existence d’un Être suprême. »

La phrase est bonne ; celle-ci est meilleure : « Rien n’a jamais tant piqué ma curiosité que… » Devinez quoi… Ah ! vous ne le devinerez jamais ; il faut vous le dire : « … que Dieu, l’âme humaine et l’ensemble de l’univers. Et, sans doute, ces choses-là sont bien faites pour piquer la curiosité. » L’auteur dit plus loin : « Je n’émettrai point d’opinion sur l’âge du monde. »

Nous lui savons gré de cette discrétion. Ce sont de ces sujets de conversation qui sont désagréables pour tout le monde, même pour le monde, et puisque l’univers, au dire des philosophes, a la faiblesse de cacher son âge, il faut respecter cette petitesse de sa part et ne jamais parler de ces choses-là devant lui. Toutefois, l’auteur trouve que le soleil commence à vieillir : « Il perd, dit-il, progressivement, mais