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LE VICOMTE DE LAUNAY.

Enfin le ménage s’éloigne. On arrive à la file du bal de madame de *** en se querellant doucement : « C’est votre faute. — Non, c’est la vôtre. — Je vous avais dit d’attendre là. — J’ai attendu. — Il m’a fallu aller vous chercher. — Pas bien loin, j’étais près de la porte ; d’ailleurs, c’est la faute de Victor, il ne sait jamais retrouver la voiture ; Charles est beaucoup plus intelligent. — Sans doute ; mais voilà huit jours que vous le faites veiller : il est malade. Vous n’avez pitié ni de vos gens ni de vos chevaux. Vous aimez le monde avec une telle fureur… — Ah ! mon Dieu, si j’avais une maison agréable, je ne sortirais pas si souvent. — Et qui vous empêche d’avoir une maison agréable ? ce n’est pas moi, je pense. — Vous faites mauvaise mine à tous ceux que j’invite. — Vous ne dites pas un mot à ceux que je vous présente. — Vous ne m’amenez que des ennuyeux. — Vous n’invitez que des fats. — Ces fats, ce sont mes cousins. — Ces ennuyeux sont mes collègues. — Ah ! votre M. D… n’est pas un collègue, et vous me l’amenez toujours. — M. Édouard de G… n’est pas votre cousin, et il passe sa vie chez vous. — Sa sœur est ma meilleure amie. — C’est une amie sincère, en vérité ; elle se moque de vous avec tout le monde. — Oh ! je sais bien que vous voulez me brouiller avec elle. — Là-dessus, je suis fort tranquille ; je n’aurai pas la peine de m’en mêler : le jour où elle n’aura plus besoin de vous, où vous n’aurez plus besoin d’elle, votre tendre amitié aura bientôt cessé. — Que voulez-vous dire ? — Vous me comprenez bien. »

Voilà à peu près comme l’on cause pendant qu’on est à la file, avant d’arriver à un grand bal.

Le plaisir dérobé à la première fête est déjà bien loin lorsqu’on parvient à la seconde : les traits sont de nouveau attristés, la pâleur est revenue, le sourire s’est perdu ; on entre dans le bal sans joie, l’esprit préoccupé, le cœur serré, et l’on n’y trouve qu’un ennui inquiet. On se demande alors si l’on n’aurait pas mieux fait de rester chez soi, sans façon, au coin du feu ; car, en réfléchissant, on découvre que c’est une véritable duperie que de se parer d’une façon si brillante pour passer la plus grande partie de sa soirée au fond d’une voiture, tête à tête avec un mari. Et le mari le plus charmant, le plus aimé,