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LETTRES PARISIENNES (1840).

est toujours maussade dans ces sortes de corvées. Mettre sur ses épaules un bon manteau bien doublé, bien ouaté, est sans doute une chose agréable ; mais cependant, n’avoir pas d’autre occupation tous les soirs que de mettre et d’ôter quatre ou cinq fois ce manteau, cela devient monotone, et l’on devrait bien, à Paris, où l’on est si ingénieux en plaisirs, varier un peu celui-là. Dites-nous s’il est possible de parler avec intérêt à des gens qui ne pensent qu’à s’en aller ? On n’a pas d’esprit avec des causeurs nomades ; on leur dit toujours la même chose. Pour causer agréablement dans ce beau désert qu’on appelle un salon, il faut au moins y dresser une tente et s’y poser à l’ombre un instant. En général, on n’a rien à dire aux gens qui partent, du moins à ceux qui partent volontairement. Bon voyage ! c’est la seule parole que nous ayons jamais pu trouver à répondre à toutes leurs belles phrases d’adieu. Si l’on n’a rien à dire à ceux qui partent pour un voyage, on a encore moins de choses à dire à ceux qui partent pour un bal. Cela vous explique pourquoi les conversations sont si languissantes, même dans les salons remplis d’excellents causeurs, et pourquoi le monde devient moins amusant à mesure qu’il devient plus brillant.

Nous sommes bien forcé, d’ailleurs, de vous raconter ce qui rend le monde moins aimable, puisqu’il nous est défendu de vous parler de ce qui le rendrait si charmant.

Nous avons entendu l’autre soir un opéra délicieux, dont nous ne pouvons dire ni le sujet ni l’auteur.

Nous avons entendu chanter une jeune personne qui a un talent admirable et une voix merveilleuse ; mais il nous est défendu de parler d’elle.

Nous avons vu aussi un portrait charmant, fait par une autre jeune personne qui, elle aussi, a un talent admirable ; mais il nous est défendu de la nommer.

Nous savons encore une histoire excellente d’un monsieur qui… ayant peur que… s’imagina qu’à *** il suffisait de… ; mais nous ne pouvons la raconter.

Nous savons encore un mot ravissant de madame de *** sur l’aventure arrivée à M. *** ; mais nous n’oserions le répéter. Ceci est un avantage de notre position, de ne pouvoir jamais