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LETTRES PARISIENNES (1840).

ment voulez-vous qu’un bal où les trois cents hommes les plus laids de France sont, avant tout le monde, priés par force et de fondation, sous prétexte qu’ils représentent le pays, ne soit pas épouvantable ! Ces messieurs, naturellement laids, sont en outre systématiquement mal mis ; ils sont tous sales et point peignés : c’est leur uniforme, le seul qu’ils aient voulu adopter. Quant à leurs manières, elles sont des plus libérales : ils se donnent des coups de coude, des coups de pied, des coups de poing. C’est révoltant : on se croirait à la Chambre. Tout cela se passait dans des salons éblouissants de glaces et de dorures, à la clarté d’un lustre fantastique, formidable, qui, semblable au soleil,

Versait des torrents de lumière
Sur ses obscurs blasphémateurs.


LETTRE SIXIÈME.

Carnaval laborieux. — Portiers et musiciens somnambules. — Le bal costumé du colonel Thorn. — Études philosophiques du colonel. — Ridicules du jour ; variétés économiques : Souper sans convives. — Concert sans musique. — Dîner sans pain. — Verres sans vin. — Calorifères sans feu. — Conversations sans esprit.
27 février 1840.

Voici un carnaval qui fera bien valoir le carême. Jamais plaisirs plus pénibles n’ont mérité un plus doux repos. Quelle agitation ! quel tapage et quelle fatigue ! Les jeunes filles sont pâles et languissantes, leurs pauvres mères font pitié ; les valets de pied sont tous enrhumés. Quant aux portiers, ils sont depuis longtemps somnambules, et l’observateur est étonné de la quantité de démarches raisonnables, de soins prévenants dont est capable un portier parisien en proie au sommeil le plus profond.

Dès neuf heures du soir, le brave homme est endormi ; n’importe, il n’en fait pas moins son service : si vous sortez en voiture, il court avec empressement ouvrir la porte cochère ; mais ce prompt mouvement ne le réveille pas.

Si vous rentrez, il vous entend sonner ; mais le bruit de la sonnette ne le réveille pas.

S’il a des lettres, des cartes de visite à remettre à vous ou