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LETTRES PARISIENNES (1840).

Nous commencerons d’abord par proclamer cette affreuse vérité :

La femme, la femme véritable n’existe plus.

Il y a encore des mères, et plus même qu’autrefois.

Il y a des sœurs.

Il y a des maîtresses.

Il y a des amies dévouées.

Il y a des associées.

Il y a des caissières.

Il y a des ménagères.

Il y a toujours des mégères

Mais il n’y a plus de femmes !… dans le monde civilisé.

En effet, qu’est-ce qu’une véritable femme ? C’est un être faible, ignorant, craintif et paresseux, qui ne pourrait pas vivre par lui-même, qu’un mot fait pâlir, qu’un regard fait rougir, qui a peur de tout, qui ne connaît rien, mais qu’un instinct sublime éclaire, et qui agit par inspiration, ce qui vaut encore mieux que d’agir par expérience ; c’est un être mystérieux, qui se pare des contrastes les plus charmants ; qui a des passions violentes avec de petites idées ; qui a des vanités insatiables et des générosités inépuisables, car la femme vraie est à la fois bonne comme une sainte et méchante comme une déesse ; qui est tout caprice, inconséquence ; qui pleure de joie et qui rit de colère, qui ment mal et qui trompe bien ; que le malheur rend sage, que les contrariétés exaltent jusqu’à la folie ; dont la naïveté égale la perfidie, dont la timidité égale l’audace ; un être inexplicable enfin, ayant de grandes qualités par hasard, et dans les grands événements quand il faut en avoir, mais sachant montrer tous les jours ces défauts aimables, trésors de craintes et d’espérances, qui séduisent, attachent, inquiètent, et auxquels on ne peut résister.

Eh ! maintenant où trouverez-vous donc beaucoup de femmes qui ressemblent à ce portrait-là ?

Hélas ! il ne leur est plus permis, à ces pauvres femmes, d’avoir tous ces charmants défauts ; il leur a bien fallu y renoncer malgré elles, depuis le jour où les hommes eux-mêmes les leur ont pris.

Naïve ignorance, imprévoyance aimable, paresse adorable,