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LE VICOMTE DE LAUNAY.

enfantine coquetterie, vous étiez jadis la grâce des femmes ; vous êtes la force des hommes aujourd’hui.

Courage, raison, patience, intelligente activité, vous étiez jadis les vertus des hommes ; vous êtes les défauts des femmes aujourd’hui.

Vingt ans de paix ont porté leur fruit ; le courage est passé de mode. Les jeunes gens du jour ne savent plus ni souffrir ni travailler ; ils ne savent rien supporter, ni la douleur, ni la pauvreté, ni l’ennui, ni les humiliations honorables, ni le chaud, ni le froid, ni la fatigue, ni les privations ; excepté quelques injures, ils ne savent rien endurer.

Voilà pourquoi les femmes ont été forcées de se métamorphoser ; elles ont acquis des vertus surnaturelles, et qui certes ne leur convenaient point. Elles sont devenues courageuses, elles dont les frayeurs puériles avaient tant de grâce ; elles sont devenues raisonnables, elles dont la légèreté avait tant d’attraits ; elles ont renoncé à la beauté par économie, à la vanité par dévouement ; elles ont compris, avec ce pur instinct qui est leur force, que, dans le ménage humain, il faut que l’un des deux époux travaille pour que l’enfant soit nourri. L’homme s’étant croisé les bras, la femme s’est mise à l’ouvrage, et c’est pourquoi la femme n’existe plus.

Étudiez les mœurs du peuple ; voyez la femme de cet ouvrier, elle travaille, elle élève ses enfants, elle s’occupe de la boutique et de son ménage, elle n’a pas dans tout le jour, un seul moment de repos. — Que fait donc son mari ? Où est-il ? — Au cabaret.

Regardez cette jeune fille ; elle est couturière en linge. Son teint est pâle, ses yeux sont rouges ; elle a dix-huit ans : elle n’est déjà plus jolie. Elle ne sort jamais, elle travaille nuit et jour. — Et son père ? — Il est là, dans l’estaminet voisin, occupé à lire les journaux.

Suivez cette belle femme. Comme elle marche rapidement ! elle regarde à sa montre avec inquiétude, elle est en retard, elle a déjà donné depuis ce matin quatre leçons de chant, elle en a encore trois à donner. C’est un métier bien fatigant. — Et son mari, que fait-il donc ? — Elle vient de le rencontrer ; il se promène sur le boulevard avec une actrice de petits théâtres.