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LE VICOMTE DE LAUNAY.

en descendra toujours, soyez-en certain, parce qu’il appartient de nature aux derniers rangs de la création ; il n’ira pas au bagne sans doute, parce que le but est trop loin de lui et qu’il ne vivra pas assez longtemps pour l’atteindre, mais il tombera aussi bas que sa condition le lui permettra, et il parviendra, malgré tous ses avantages, à être dans sa sphère un objet de honte et de dégoût.

Non-seulement la nature nous désigne un rang, mais ce rang est une vocation. Il y a de très-grandes dames, par exemple, qui sont nées actrices, et qui cependant n’ont jamais joué la comédie, même pour s’amuser. Nous ne voulons pas dire qu’elles sont comédiennes et qu’elles affectent de ridicules et trompeurs sentiments ; nous voulons dire qu’elles sont nées pour le théâtre, qu’elles aiment les coups de théâtre, les poses de théâtre, les costumes de théâtre, le rouge, les mouches, les grands panaches, les aigrettes ; regardez-les, elles sont toujours en scène, mais sans prétention, sans le savoir et naturellement ; elles préparent dans leur salon des reconnaissances, des rencontres imprévues ; elles jouent dans la même soirée toutes sortes de rôles. — Premier rôle. Amies dévouées : Elles traversent la foule et viennent vous serrer la main en levant les yeux au ciel. — Second rôle. Grandes coquettes : Elles détachent de leur bouquet une branche de bruyère et la donnent avec un doux sourire à un jeune ou même à un vieux soupirant. — Troisième rôle. Mères sensibles : Elles courent embrasser une petite fille de douze ans qu’une bonne mère aurait envoyée coucher à neuf heures. — Quatrième rôle. Protectrices bienfaisantes : Elles font chanter un ange de vertu qui n’a pas de voix. — Quoique duchesses ou princesses, elles redeviennent actrices par la force de leur naturel. Leur salon est un théâtre.

Il y a aussi de très-grandes dames qui sont nées portières et qui se maintiennent portières dans les positions les plus élevées. Chez elles, tous les jours, chacun en passant va raconter sa petite anecdote et déposer sa fausse nouvelle. Elles connaissent tout le quartier, c’est-à-dire tout le monde. Elles savent, à ne jamais s’y tromper, le chiffre de la fortune de chacun : — Celui-ci dépense trop ; celui-là pourrait dépenser