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LETTRES PARISIENNES (1837).

gauche du Rhône, dans une montgolfière gonflée à la fumée. Le ballon, composé d’un réseau de ficelles, collé intérieurement et extérieurement de papier, fut soumis pendant vingt jours, par un temps affreux, à une série d’expériences auxquelles toute la population de la ville s’intéressa. Le ballon s’éleva enfin en présence de plus de deux cent mille personnes accourues de trente lieues à la ronde : car c’était un événement alors que l’ascension d’un ballon. Un incident étrange faillit compromettre la vie des voyageurs. Un jeune homme de dix-neuf ans, nommé Fontaine, intimement lié avec la famille Montgolfier, avait en vain sollicité l’honneur d’être du voyage ; M. Joseph Montgolfier l’avait impitoyablement refusé. Le jeune homme eut alors recours à un moyen désespéré, ruse effrayante de hardiesse, mais admirable puisqu’elle réussit ; il alla se percher sur le point le plus élevé de l’enceinte, et lorsque le ballon, en quittant la terre, passa près de lui, il se précipita dans la nacelle par un élan prodigieux, et tomba juste au milieu des voyageurs, fort étonnés de cette manière nouvelle de rattraper la diligence ; l’ébranlement que le ballon reçut alors détermina la rupture de quelques mailles du filet. Le mouvement d’ascension n’en continuait pas moins ; mais, la rupture augmentant toujours, les voyageurs se voyaient au moment de tomber dans le Rhône, dont ils suivaient le cours ; la nacelle aérienne tremblait de devenir aquatique, et la foule inquiète les contemplait avec effroi : au même instant, sans un ordre, sans une parole, par un mouvement spontané et unanime, le Rhône se couvrit de barques dans toute son étendue, et l’on vit chaque batelier, immobile, épier dans les airs ceux qu’il s’apprêtait déjà à sauver dans l’eau. Pendant ce temps, Joseph Montgolfier et le jeune Fontaine, au milieu de la consternation de leurs compagnons, se hâtaient d’activer le feu de paille dans la nacelle pour maintenir l’équilibre du ballon avec la masse d’air. Arrivés au confluent du Rhône et de la Saône, un coup de vent, venant du bassin de la Saône, les poussa vers les marais de Genissieux, où ils allèrent tomber rudement. M. de Laurencin eut un bras foulé, M. Montgolfier eut trois dents cassées, les autres voyageurs reçurent des contusions plus ou moins fortes. Ramenés en triomphe à Lyon,