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LETTRES PARISIENNES (1837).

femmes. Aussi quelqu’un, qui voulait trouver une raison à l’admission exceptionnelle de toutes ces vilaines figures, prétendait que le samedi était le jour réservé à tous ceux qui avaient leur portrait au Salon. L’épigramme était sanglante (vieux style), mais elle était méritée de part et d’autre.

Toutefois, nous ne sommes pas de ceux qui blâment la manie des tableaux de famille ; nous comprenons fort bien qu’on se plaise à garder un souvenir de ceux qu’on aime, et qu’une image puisse être précieuse, lors même qu’elle n’est pas jolie ; nous avons tous des parents fort laids que nous chérissons, et le portrait d’un bienfaiteur bossu, qui nous aurait aimé, nous ferait plus de plaisir à contempler que celui d’un très-bel oncle égoïste qui nous aurait déshérité. Le tableau de famille est dans la nature, peut-être n’est-il pas dans la peinture ; n’importe, ce n’est qu’une difficulté que le talent peut vaincre ; et tant de chefs-d’œuvre nous donnent raison ! Ce qu’il faut attaquer, ce n’est pas la fureur des portraits, qui donne du travail à tant d’artistes : c’est la prétention des gens qui posent ; c’est la fatuité de leurs attitudes, l’impoésie de leurs costumes ; c’est le ridicule et la niaiserie des accessoires dont il leur plaît de s’entourer. Ce n’est pas le mauvais goût du peintre qu’il faut critiquer ; que de fois il a dû souffrir, le pauvre homme ! c’est l’éducation du modèle qu’il faut entreprendre, lui seul fait le comique du tableau. Qu’il se contente de prêter son image, c’est déjà bien assez quelquefois, mais qu’il laisse à l’artiste le soin de l’assaisonner, ou bien nous serons forcé de lui dire :

Il n’est point de bourgeois, d’épicier odieux,
Qui, par l’art embelli, ne puisse plaire aux yeux.

Ainsi, nous trouvons tout simple que, lorsqu’on a une jolie figure comme ce jeune homme qui s’appuie sur un tombeau, on se fasse peindre, et qu’on veuille offrir son portrait à une mère ou une amie ; mais alors pourquoi mettre si soigneusement sur cette tombe son chapeau et ses gants jaunes ? Pourquoi des gants jaunes sur un tombeau ? Nous aurions préféré des gants noirs : c’était plus convenable. Nous voudrions aussi un crêpe noir au chapeau, sinon le tombeau risque fort d’être pris pour un poêle ; mais alors que fait un poêle dans un jardin ?