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LE VICOMTE DE LAUNAY.

nos yeux… De magnifiques jardins habilement éclairés s’étendent devant nous. Des lampes de toutes couleurs rayonnent entre les arbres ; chaque buisson jette une étincelle, chaque tige porte un flambeau. Des lueurs furtives, avertissant vos pas, se cachent comme des vers luisants dans les herbes, ou se suspendent comme des lucioles dans les rameaux, et ces lueurs font valoir la teinte sombre du feuillage, la verdure argentée des gazons. Dans les longues allées, à la fois brillantes et mystérieuses, on voit errer toutes les jeunes danseuses de la fête, et nous comprenons alors pourquoi elles quittent si vite la salle de bal quand le quadrille et la valse sont terminés. Elles glissent entre les branches comme des ombres, mais des ombres joyeuses et richement parées ; elles marchent sans bruit, un sable précieux protège le satin de leur chaussure ; la rosée respecte leurs pas ; la brise discrète n’ose effleurer leurs bras nus, leurs blanches épaules, leurs cheveux flottants. Pas un souffle dans l’air brûlant et parfumé ; pas une larme de la nuit sur les boutons entr’ouverts. L’atmosphère est si douce, que l’on se croit protégé par d’invisibles abris. Enfin l’on prendrait ces verts jardins pour d’immenses salons, pompeusement meublés, également chauffés, ou pour les gigantesques serres d’un colossal palais, si l’on n’apercevait pas dans l’azur du ciel la lune et les étoiles véritables, qui elles-mêmes semblent n’être là que pour donner à cette fête prestigieuse ce qui lui manque : l’idée de la réalité.

Mais où vont-elles, toutes ces jeunes nymphes ?

Ah ! voilà le secret, voilà donc le but de ces promenades intermittentes !… Au détour d’une allée, un chalet lumineux s’offre aux regards ; il s’élève sur une colline boisée de rhododendrons : cette montagne lilas est d’un effet charmant. Un balcon sculpté règne autour des fenêtres du premier étage, un double escalier extérieur y conduit ; au rez-de-chaussée se trouve un riche salon, c’est l’étable : de belles vaches noires et blanches y sont réunies ; elles se lèvent poliment pour nous recevoir. Nous devinons tout de suite que ce sont des princesses enchantées et punies par cette cruelle métamorphose ; on n’aurait pas ces égards, on ne déploierait pas ce luxe pour un bétail ordinaire. Près du salon est une élégante salle à manger