Page:Œuvres complètes de Frédéric Bastiat, Guillaumin, 2.djvu/208

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Armer, dans cette position, c’est une nécessité fatale ; ce n’est pas au moins une inconséquence.

Mais armer pour défendre des possessions qu’on ouvre au libre commerce du monde entier, c’est planter un arbre et en rejeter soi-même les fruits les plus précieux.

Est-ce pour voler à de nouvelles conquêtes que l’Angleterre renforce ses escadres et ses bataillons ?

Cela peut entrer dans les vues de l’aristocratie. Elle recouvrerait par là plus qu’elle n’a perdu dans le monopole du blé ! Mais de la part du peuple travailleur, c’est une contradiction manifeste.

Pour justifier de nouvelles conquêtes, même aux yeux de sa propre ambition, il faudrait commencer par reconnaître qu’on s’est bien trouvé des conquêtes déjà accomplies. Or, on y renonce, et on y renonce, non par abnégation, mais par calcul, mais parce qu’en posant des chiffres on trouve que la perte surpasse le profit. Le moment ne serait-il pas bien choisi pour recommencer l’expérience ?

En agissant ainsi, le peuple anglais ressemblerait à ce manufacturier qui, à côté d’une ancienne usine, en élevait une nouvelle. Il renouvelait toutes les machines du vieil établissement, parce que, les jugeant mauvaises, il voulait les remplacer par un mécanisme plus perfectionné, et, en même temps, il faisait construire à grands frais des machines de l’ancien modèle pour le nouvel établissement.

Dans l’esprit du système exclusif, un peuple augmente ses colonies pour élargir le cercle de ses débouchés privilégiés ; mais lorsqu’il s’aperçoit enfin que c’est là une politique décevante ; lorsqu’il est forcé par son propre intérêt d’ouvrir au commerce du monde les colonies déjà acquises : lorsqu’il renonce par calcul à la seule chose qui les lui avait fait acquérir, le privilége, ne faudrait-il pas qu’il fût frappé de vertige pour songer à augmenter ses possessions ? Et pourquoi y songerait-il ? Serait-ce pour arriver encore à