Page:Œuvres complètes de Frédéric Bastiat, Guillaumin, 2.djvu/219

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voulons rien recevoir en France du Brésil. Mais s’il trouve à charger des cuirs pour New-York, si à New-York il rencontre du blé pour l’Angleterre, et en Angleterre du sucre pour Dantzick, il sera libre d’exécuter ces transports ; ses périodes d’attente et d’inaction, ses chances de retour à vide en seront fort diminuées ; » si, dis-je, l’armateur français pouvait faire ce raisonnement, il est probable qu’il serait plus facile relativement au prix du fret. On dit à cela qu’il est bien forcé par la concurrence de réduire ses prétentions au même niveau que les autres navigateurs. Cela est vrai ; et c’est précisément pour cela qu’on construit moins et qu’on navigue moins en France, parce qu’à ce niveau la convenance ne s’y trouve plus, et la rémunération est insuffisante.

Nous ignorons combien il faudra de temps pour que les nations apprennent à ne pas voir un gain dans le tort qu’elles se font ainsi les unes aux autres.

Mais, si nous sommes bien informés, l’inscription maritime travaille presque aussi efficacement que le régime exclusif à la décadence de notre marine marchande.

Le métier de marin, qui a naturellement tant d’attraits pour la jeunesse de nos côtes, est aujourd’hui évité avec le plus grand soin. Les pères font des sacrifices pour empêcher leurs fils d’entrer dans cette noble carrière, car on n’y peut entrer sans perdre toute indépendance pour le reste de ses jours. Souvent, sans doute, l’attrait d’une profession aventureuse l’emporte sur les calculs de la prévoyance ; mais alors le marin se dégoûte bientôt d’une carrière qui lui fait sentir constamment le poids d’une chaîne inflexible, et nous avons entendu des hommes pratiques se demander très-sérieusement si les sinistres fréquents, dont notre marine militaire est affligée depuis quelque temps, ne devaient pas être attribués à une certaine force d’inertie qui naît, dans le marin, de la répugnance avec laquelle il subit la