Page:Œuvres complètes de Frédéric Bastiat, Guillaumin, 2.djvu/330

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seulement une observation. Nous ne pouvons pas nous dissimuler que toutes les sociétés modernes ont leur point de départ dans l’esclavage, dans un état de choses où un homme avec ses facultés, les fruits de son travail et sa personnalité tout entière, était la propriété d’un autre homme. L’esclave n’a pas de droits, ou au moins il n’a pas de droits reconnus. Sa parole, sa pensée, sa conscience, son travail, tout appartient au maître.

Le grand travail de l’humanité, travail préparatoire si l’on veut, mais qui absorbe ses forces jusqu’à ce qu’il soit accompli, c’est de faire tomber successivement ces injustes usurpations. Nous avons reconquis la liberté de penser, de parler, d’écrire, de travailler, d’aller d’un lieu à un autre ; et c’est la réunion de toutes ces libertés, avec les garanties qui les préservent de nouvelles atteintes, qui constitue la liberté !

La liberté n’est donc autre chose que la propriété de soi-même, de ses facultés, de ses œuvres.

Or, Messieurs, sommes-nous propriétaires de nos œuvres si nous n’en pouvons disposer par l’échange, parce que cela contrarie un autre homme ? Si, à force de soins et de travail, j’ai produit une chose, un meuble, par exemple, en suis-je le vrai propriétaire si je ne le puis envoyer en Belgique pour avoir du drap ? Et remarquez qu’il importe peu que l’échange se fasse ainsi directement. Qu’il me convienne d’envoyer ce meuble en Belgique pour l’échanger contre du drap, ou en Angleterre pour recevoir une lettre de change, ou en Arabie pour recevoir du café, ou au Pérou pour recevoir de l’or, — qui me servent à acquitter le drap belge, — si mes membres m’appartiennent, si les garantir du froid est une affaire qui me regarde, je dois être libre de choisir entre ces divers moyens de me procurer des vêtements. Lorsqu’un tiers s’interpose entre mes membres et moi et a la prétention de m’imposer la manière la plus