Page:Œuvres complètes de Frédéric Bastiat, Guillaumin, 2.djvu/416

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pêche tout le long du jour ; pas un moment ne lui reste pour réparer ses vêtements et se bâtir une cabane. — Mais que fait-il maintenant ? Il rassemble des bouts de ficelle et en fait un filet qu’il place au travers d’un large ruisseau. Le poisson s’y prend de lui-même, et Robinson n’a plus qu’à donner quelques heures par jour à la tâche de se pourvoir d’aliments. Désormais il peut s’occuper de se vêtir et de se loger.

— Que concluez-vous de là ?

— Qu’une machine ne tue pas le travail, mais le laisse disponible, ce qui est bien différent ; car un travail tué, comme lorsque l’on coupe le bras à un homme, est une perte, et un travail rendu disponible, comme si l’on nous gratifiait d’un troisième bras, est un profit.

— En est-il de même dans la société ?

— Sans doute, si vous admettez que les besoins d’une société, comme ceux d’un homme, sont indéfinis.

— Et s’ils n’étaient pas indéfinis ?

— En ce cas, le profit se traduirait en loisirs.

— Cependant vous ne pouvez pas nier que, dans l’état social, une nouvelle machine ne laisse des bras sans ouvrage.

— Momentanément certains bras, j’en conviens ; mais l’ensemble du travail, je le nie. Ce qui produit l’illusion, c’est ceci : on omet de voir que la machine ne peut mettre une certaine quantité de travail en disponibilité, sans mettre aussi en disponibilité une quantité correspondante de rémunération.

— Comment cela ?

— Supposez que Robinson, au lieu d’être seul, vive au sein d’une société et vende le poisson, au lieu de le manger. Si, ayant inventé le filet, il continue à vendre le poisson au même prix, chacun, excepté lui, aura pour s’en procurer à faire le même travail qu’auparavant. S’il le vend