Page:Œuvres complètes de Frédéric Bastiat, Guillaumin, 2.djvu/436

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nistrés à la théorie (car c’en est bien une) de la protection.

La topographie d’Énios servit merveilleusement ses projets. Il assembla son conseil (c’est-à-dire il s’enferma dans sa chambre), il discuta, délibéra, vota et sanctionna un nouveau tarif pour le passage du pont, tarif un peu compliqué, mais dont l’esprit peut se résumer ainsi :

Pour sortir de la commune, zéro par tête.

Pour entrer dans la commune, cent francs par tête.

Cela fait, M. le maire réunit, cette fois tout de bon, le conseil municipal, et prononça le discours suivant que nous rapporterons en mentionnant les interruptions.

« Mes amis, vous savez que le pont nous a coûté cher ; il a fallu emprunter pour le faire, et nous avons à rembourser intérêts et principal ; c’est pourquoi je vais frapper sur vous une contribution additionnelle.

Jérôme. Est-ce que le péage ne suffit plus ?

Un bon système de péage, dit le maire d’un ton doctoral, doit avoir en vue la protection et non le revenu. — Jusqu’ici le pont s’est suffit à lui-même, mais j’ai arrangé les choses de manière à ce qu’il ne rapportera plus rien. En effet, les denrées du dedans passeront sans rien payer, et celles du dehors ne passeront pas du tout.

Mathurin. Et que gagnerons-nous à cela ?

— Vous êtes des novices, reprit le maire : et déployant devant lui le Moniteur industriel, afin d’y trouver réponse au besoin à toutes les objections, il se mit à expliquer le mécanisme de son système, en ces termes :

Jacques, ne serais-tu pas bien aise de faire payer ton beurre un peu plus cher aux cuisinières d’Énios ?

— Cela m’irait, dit Jacques.

— Eh bien, pour cela, il faut empêcher le beurre étranger d’arriver par le pont. Et toi, Jean, pourquoi ne fais-tu pas promptement fortune avec tes poules ?