Page:Œuvres complètes de Frédéric Bastiat, Guillaumin, 2.djvu/479

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du moins, elle jette un voile sombre sur l’avenir ; et c’est là, je le crains bien, l’écueil de notre chère République.

D’ailleurs, comment avoir le courage de s’en prendre au peuple, s’il ignore ce qu’on lui a toujours défendu d’apprendre, s’il nourrit dans son cœur des espérances chimériques qu’on s’est appliqué à y faire naître ?

Que faisaient naguère et que font encore les puissants du siècle, les grands propriétaires, les grands manufacturiers ? Ils demandaient à la loi des suppléments de profits, au détriment de la masse. Est-il surprenant que la masse, aujourd’hui en position de faire la loi, lui demande aussi un supplément de salaires ? Mais, hélas ! il n’y a pas au-dessous d’elle une autre masse d’où cette source de subventions puisse jaillir. Le regard attaché sur le pouvoir, les industriels s’étaient transformés en solliciteurs. Faites-moi vendre mieux mon blé ! faites-moi tirer un meilleur parti de ma viande ! Élevez artificiellement le prix de mon fer, de mon drap, de ma houille ! Tels étaient les cris qui assourdissaient la Chambre privilégiée. Est-il surprenant que le peuple victorieux se fasse solliciteur à son tour ! Mais, hélas ! si la loi peut, à la rigueur, faire des largesses à quelques privilégiés, aux dépens de la nation, comment concevoir qu’elle fasse des largesses à la nation tout entière ?

Quel exemple donne en ce moment même la classe moyenne ? On la voit obséder le gouvernement provisoire et se jeter sur le budget comme sur une proie. Est-il surprenant que le peuple manifeste aussi l’ambition bien humble de vivre au moins en travaillant ?

Que disaient sans cesse les gouvernants ? À la moindre lueur de prospérité, ils s’en attribuaient sans façon tout le mérite ; ils ne parlaient pas des vertus populaires qui en sont la base, de l’activité, de l’ordre, de l’économie des travailleurs. Non, cette prospérité, d’ailleurs fort douteuse, ils s’en disaient les auteurs. Il n’y a pas encore deux mois que