Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, I.djvu/130

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paternelle fut reçue avec une feinte obéissance pleine d’ironie.

— Au moins, ma chère Émilie, si vous l’aimez, ne le lui avouez pas !

— Mon père, il est vrai que je l’aime, mais j’attendrai pour le lui dire que vous me le permettiez.

— Cependant, Émilie, songez que vous ignorez encore quelle est sa famille, son état.

— Si je l’ignore, je le veux bien. Mais, mon père, vous avez souhaité me voir mariée, vous m’avez donné la liberté de faire un choix, le mien est fait irrévocablement, que faut-il de plus ?

— Il faut savoir, ma chère enfant, si celui que tu as choisi est fils d’un pair de France, répondit ironiquement le vénérable gentilhomme.

Émilie resta un moment silencieuse. Elle releva bientôt la tête, regarda son père, et lui dit avec une sorte d’inquiétude : — Est-ce que les Longueville ?…

— Sont éteints en la personne du vieux duc de Rostein-Limbourg, qui a péri sur l’échafaud en 1793. Il était le dernier rejeton de la dernière branche cadette.

— Mais, mon père, il y a de fort bonnes maisons issues de bâtards. L’histoire de France fourmille de princes qui mettaient des barres à leur écu.

— Tes idées ont bien changé, dit le vieux gentilhomme en souriant.

Le lendemain était le dernier jour que la famille Fontaine dût passer au pavillon Planat. Émilie, que l’avis de son père avait fortement inquiétée, attendit avec une vive impatience l’heure à laquelle le jeune Longueville avait l’habitude de venir, afin d’obtenir de lui une explication. Elle sortit après le dîner et alla se promener seule dans le parc en se dirigeant vers le bosquet aux confidences où elle savait que l’empressé jeune homme la chercherait ; et tout en courant, elle songeait à la meilleure manière de surprendre, sans se compromettre, un secret si important : chose assez difficile ! Jusqu’à présent, aucun aveu direct n’avait sanctionné le sentiment qui l’unissait à cet inconnu. Elle avait secrètement joui, comme Maximilien, de la douceur d’un premier amour ; mais aussi fiers l’un que l’autre, il semblait que chacun d’eux craignît d’avouer qu’il aimât.