Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, I.djvu/131

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Maximilien Longueville, à qui Clara avait inspiré sur le caractère d’Émilie des soupçons assez fondés, se trouvait tour à tour emporté par la violence d’une passion de jeune homme, et retenu par le désir de connaître et d’éprouver la femme à laquelle il devait confier son bonheur. Son amour ne l’avait pas empêché de reconnaître en Émilie les préjugés qui gâtaient ce jeune caractère ; mais il désirait savoir s’il était aimé d’elle avant de les combattre, car il ne voulait pas plus hasarder le sort de son amour que celui de sa vie. Il s’était donc constamment tenu dans un silence que ses regards, son attitude et ses moindres actions démentaient. De l’autre côté, la fierté naturelle à une jeune fille, encore augmentée chez mademoiselle de Fontaine par la sotte vanité que lui donnaient sa naissance et sa beauté, l’empêchait d’aller au-devant d’une déclaration qu’une passion croissante lui persuadait quelquefois de solliciter. Aussi les deux amants avaient-ils instinctivement compris leur situation sans s’expliquer leurs secrets motifs. Il est des moments de la vie où le vague plaît à de jeunes âmes. Par cela même que l’un et l’autre avaient trop tardé de parler, ils semblaient tous deux se faire un jeu cruel de leur attente. L’un cherchait à découvrir s’il était aimé par l’effort que coûterait un aveu à son orgueilleuse maîtresse, l’autre espérait voir rompre à tout moment un trop respectueux silence.

Assise sur un banc rustique, Émilie songeait aux événements qui venaient de se passer pendant ces trois mois pleins d’enchantements. Les soupçons de son père étaient les dernières craintes qui pouvaient l’atteindre, elle en fit même justice par deux ou trois de ces réflexions de jeune fille inexpérimentée qui lui semblèrent victorieuses. Avant tout, elle convint avec elle-même qu’il était impossible qu’elle se trompât. Durant toute la saison, elle n’avait pu apercevoir en Maximilien, ni un seul geste, ni une seule parole qui indiquassent une origine ou des occupations communes ; bien mieux, sa manière de discuter décelait un homme occupé des hauts intérêts du pays. — D’ailleurs, se dit-elle, un homme de bureau, un financier ou un commerçant n’aurait pas eu le loisir de rester une saison entière à me faire la cour au milieu des champs et des bois, en dispensant son temps aussi libéralement qu’un noble qui a devant lui toute une vie libre de soins. Elle s’abandonnait au cours d’une méditation beaucoup plus intéressante pour elle que ces pensées préliminaires, quand un léger bruissement du feuillage lui