Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, I.djvu/212

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Mon père, voulez-vous me faire désirer votre mort ? s’écria Ginevra.

— Je vivrai plus long-temps que toi ! Les enfants qui n’honorent pas leurs parents meurent promptement, s’écria son père parvenu au dernier degré de l’exaspération.

— Raison de plus pour me marier promptement et être heureuse ! dit-elle.

Ce sang-froid, cette puissance de raisonnement achevèrent de troubler Piombo, le sang lui porta violemment à la tête, son visage devint pourpre. Ginevra frissonna, elle s’élança comme un oiseau sur les genoux de son père, lui passa ses bras autour du cou, lui caressa les cheveux, et s’écria tout attendrie : — Oh ! oui, que je meure la première ! Je ne te survivrais pas, mon père, mon bon père !

— Ô ma Ginevra, ma folle, ma Ginevrina, répondit Piombo dont toute la colère se fondit à cette caresse comme une glace sous les rayons du soleil.

— Il était temps que vous finissiez, dit la baronne d’une voix émue.

— Pauvre mère !

— Ah ! Ginevretta ! ma Ginevra bella !

Et le père jouait avec sa fille comme avec un enfant de six ans, il s’amusait à défaire les tresses ondoyantes de ses cheveux, à la faire sauter ; il y avait de la folie dans l’expression de sa tendresse. Bientôt sa fille le gronda en l’embrassant, et tenta d’obtenir en plaisantant l’entrée de son Louis au logis. Mais, tout en plaisantant aussi, le père refusait. Elle bouda, revint, bouda encore ; puis, à la fin de la soirée, elle se trouva contente d’avoir gravé dans le cœur de son père et son amour pour Louis et l’idée d’un mariage prochain. Le lendemain elle ne parla plus de son amour, elle alla plus tard à l’atelier, elle en revint de bonne heure ; elle devint plus caressante pour son père qu’elle ne l’avait jamais été, et se montra pleine de reconnaissance, comme pour le remercier du consentement qu’il semblait donner à son mariage par son silence. Le soir elle faisait long-temps de la musique, et souvent elle s’écriait : — Il faudrait une voix d’homme pour ce nocturne ! Elle était Italienne, c’est tout dire. Au bout de huit jours sa mère lui fit un signe, elle vint ; puis à l’oreille et à voix basse : — J’ai amené ton père à le recevoir, lui dit-elle.