Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, I.djvu/211

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d’impatience, quand il ne m’aimerait pas, du moment où je l’aime…

— Tu l’aimes donc ? s’écria Piombo. Ginevra inclina doucement la tête. — Tu l’aimes alors plus que nous ?

— Ces deux sentiments ne peuvent se comparer, répondit-elle.

— L’un est plus fort que l’autre, reprit Piombo.

— Je crois que oui, dit Ginevra.

— Tu ne l’épouseras pas, cria le Corse dont la voix fit résonner les vitres du salon.

— Je l’épouserai, répliqua tranquillement Ginevra.

— Mon Dieu ! mon Dieu ! s’écria la mère, comment finira cette querelle ? Santa Virgina ! mettez-vous entre eux.

Le baron, qui se promenait à grands pas, vint s’asseoir ; une sévérité glacée rembrunissait son visage, il regarda fixement sa fille, et lui dit d’une voix douce et affaiblie : — Eh bien ! Ginevra ! non, tu ne l’épouseras pas. Oh ! ne me dis pas oui ce soir ?… laisse-moi croire le contraire. Veux-tu voir ton père à genoux et ses cheveux blancs prosternés devant toi ? je vais te supplier…

— Ginevra Piombo n’a pas été habituée à promettre et à ne pas tenir, répondit-elle. Je suis votre fille.

— Elle a raison, dit la baronne, nous sommes mises au monde pour nous marier.

— Ainsi, vous l’encouragez dans sa désobéissance, dit le baron à sa femme qui, frappée de ce mot, se changea en statue.

— Ce n’est pas désobéir que de se refuser à un ordre injuste, répondit Ginevra.

— Il ne peut pas être injuste quand il émane de la bouche de votre père, ma fille ! Pourquoi me jugez-vous ? La répugnance que j’éprouve n’est-elle pas un conseil d’en haut ? Je vous préserve peut-être d’un malheur.

— Le malheur serait qu’il ne m’aimât pas.

— Toujours lui !

— Oui, toujours, reprit-elle. Il est ma vie, mon bien, ma pensée. Même en vous obéissant, il serait toujours dans mon cœur. Me défendre de l’épouser, n’est-ce pas vous haïr ?

— Tu ne nous aimes plus, s’écria Piombo.

— Oh ! dit Ginevra en agitant la tête.

— Eh bien ! oublie-le, reste-nous fidèle. Après nous… tu comprends.