Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, I.djvu/250

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été mariée sans aucune espèce de fortune à un homme qui avait une immense fortune. J’ignore si monsieur votre neveu est riche ou pauvre ; si je l’ai reçu, si je le reçois, je le regarde comme digne d’être au milieu de mes amis. Tous mes amis, monsieur, ont du respect les uns pour les autres : ils savent que je n’ai pas la philosophie de voir les gens quand je ne les estime point ; peut-être est-ce manquer de charité ; mais mon ange gardien m’a maintenue jusqu’aujourd’hui dans une aversion profonde et des caquets et de l’improbité.

Quoique le timbre de la voix fût légèrement altéré pendant les premières phrases de cette réplique, les derniers mots en furent dits par madame Firmiani avec l’aplomb de Célimène raillant le Misanthrope.

— Madame, reprit le comte d’une voix émue, je suis un vieillard, je suis presque le père d’Octave, je vous demande donc, par avance, le plus humble des pardons pour la seule question que je vais avoir la hardiesse de vous adresser, et je vous donne ma parole de loyal gentilhomme que votre réponse mourra là, dit-il en mettant la main sur son cœur avec un mouvement véritablement religieux. La médisance a-t-elle raison, aimez-vous Octave ?

— Monsieur, dit-elle, à tout autre je ne répondrais que par un regard ; mais à vous, et parce que vous êtes presque le père de monsieur de Camps, je vous demanderai ce que vous penseriez d’une femme si, à votre question, elle disait : oui. Avouer son amour à celui que nous aimons, quand il nous aime… là… bien ; quand nous sommes certaines d’être toujours aimées, croyez-moi, monsieur, c’est un effort, une récompense, un bonheur ; mais à un autre !…

Madame Firmiani n’acheva pas, elle se leva, salua le bonhomme et disparut dans ses appartements, dont toutes les portes successivement ouvertes et fermées eurent un langage pour les oreilles du planteur de peupliers.

— Ah ! peste, se dit le vieillard, quelle femme ! c’est ou une rusée commère ou un ange. Et il gagna sa voiture de remise, dont les chevaux donnaient de temps en temps des coups de pied au pavé de la cour silencieuse. Le cocher dormait, après avoir cent fois maudit sa pratique.

Le lendemain matin, vers huit heures, le vieux gentilhomme montait l’escalier d’une maison située rue de l’Observance où demeurait Octave de Camps. S’il y eut au monde un homme étonné, ce fut certes le jeune professeur en voyant son oncle : la clef