Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, I.djvu/251

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

était sur la porte, la lampe d’Octave brûlait encore, il avait passé la nuit.

— Monsieur le drôle, dit monsieur de Bourbonne en s’asseyant sur un fauteuil, depuis quand se rit-on (style chaste) des oncles qui ont vingt-six mille livres de rentes en bonnes terres de Touraine, lorsqu’on est leur seul héritier ? Savez-vous que jadis nous respections ces parents-là ? Voyons, as-tu quelques reproches à m’adresser ? ai-je mal fait mon métier d’oncle, t’ai-je demandé du respect, t’ai-je refusé de l’argent, t’ai-je fermé la porte au nez en prétendant que tu venais voir comment je me portais ; n’as-tu pas l’oncle le plus commode, le moins assujettissant qu’il y ait en France ? je ne dis pas en Europe, ce serait trop prétentieux. Tu m’écris ou tu ne m’écris pas, je vis sur l’affection jurée, et t’arrange la plus jolie terre du pays, un bien qui fait l’envie de tout le département ; mais je ne veux te la laisser néanmoins que le plus tard possible. Cette velléité n’est-elle pas excessivement excusable ? Et monsieur vend son bien, se loge comme un laquais, et n’a plus ni gens ni train…

— Mon oncle…

— Il ne s’agit pas de l’oncle, mais du neveu. J’ai droit à ta confiance : ainsi confesse-toi promptement, c’est plus facile, je sais cela par expérience. As-tu joué, as-tu perdu à la Bourse ? Allons, dis-moi : « Mon oncle, je suis un misérable ! » et je t’embrasse. Mais si tu me fais un mensonge plus gros que ceux que j’ai faits à ton âge, je vends mon bien, je le mets en viager, et reprendrai mes mauvaises habitudes de jeunesse, si c’est encore possible.

— Mon oncle…

— J’ai vu hier ta madame Firmiani, dit l’oncle en baisant le bout de ses doigts qu’il ramassa en faisceau. Elle est charmante, ajouta-t-il. Tu as l’approbation et le privilége du roi, et l’agrément de ton oncle, si cela peut te faire plaisir. Quant à la sanction de l’Église, elle est inutile, je crois, les sacrements sont sans doute trop chers ! Allons, parle, est-ce pour elle que tu t’es ruiné ?

— Oui, mon oncle.

— Ah ! la coquine, je l’aurais parié. De mon temps, les femmes de la cour étaient plus habiles à ruiner un homme que ne peuvent l’être vos courtisanes d’aujourd’hui. J’ai reconnu, en elle, le siècle passé rajeuni.

— Mon oncle, reprit Octave d’un air tout à la fois triste et doux,