Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, I.djvu/260

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

ché dans la rue de la Tixeranderie, où elle n’avait que cinq pieds de largeur. Aussi, par les temps pluvieux, des eaux noirâtres baignaient-elles promptement le pied des vieilles maisons qui bordaient cette rue, en entraînant les ordures déposées par chaque ménage au coin des bornes. Les tombereaux ne pouvant point passer par là, les habitants comptaient sur les orages pour nettoyer leur rue toujours boueuse ; et comment aurait-elle été propre ? lorsqu’en été le soleil dardait en aplomb ses rayons sur Paris, une nappe d’or, aussi tranchante que la lame d’un sabre, illuminait momentanément les ténèbres de cette rue sans pouvoir sécher l’humidité permanente que régnait depuis le rez-de-chaussée jusqu’au premier étage de ces maisons noires et silencieuses. Les habitants, qui au mois de juin allumaient leurs lampes à cinq heures du soir, ne les éteignaient jamais en hiver. Encore aujourd’hui, si quelque courageux piéton veut aller du Marais sur les quais, en prenant, au bout de la rue du Chaume, les rues de l’Homme-Armé, des Billettes et des Deux-Portes qui mènent à celle du Tourniquet-Saint-Jean, il croira n’avoir marché que sous des caves. Presque toutes les rues de l’ancien Paris, dont les chroniques ont tant vanté la splendeur, ressemblaient à ce dédale humide et sombre où les antiquaires peuvent encore admirer quelques singularités historiques. Ainsi, quand la maison qui occupait le coin formé par les rues du Tourniquet et de la Tixeranderie subsistait, les observateurs y remarquaient les vestiges de deux gros anneaux de fer scellés dans le mur, un reste de ces chaînes que le quartenier faisait jadis tendre tous les soirs pour la sûreté publique. Cette maison, remarquable par son antiquité, avait été bâtie avec des précautions qui attestaient l’insalubrité de ces anciens logis, car pour assainir le rez-de-chaussée, on avait élevé les berceaux de la cave à deux pieds environ au dessus du sol, ce qui obligeait à monter trois marches pour entrer dans la maison. Le chambranle de la porte bâtarde décrivait un cintre plein, dont la clef était ornée d’une tête de femme et d’arabesques rongés par le temps. Trois fenêtres, dont les appuis se trouvaient à hauteur d’homme, appartenaient à un petit appartement situé dans la partie de ce rez-de-chaussée qui donnait sur la rue du Tourniquet d’où il tirait son jour. Ces croisées dégradées étaient défendues par de gros barreaux en fer très-espacés et finissant par une saillie ronde semblable à celle qui termine les grilles des boulangers. Si pendant la journée