Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, I.djvu/322

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Charlet et ceux de Callot, les pinceaux de Téniers et de Rembrandt, pour donner une idée vraie de cette scène nocturne.

— Voilà mon compte soldé avec l’enfer, et j’ai eu du plaisir pour mon argent, dit le comte d’un son de voix profond en montrant au médecin stupéfait la figure indescriptible du chiffonnier béant. Quant à Caroline Crochard, reprit-il, elle peut mourir dans les horreurs de la faim et de la soif, en entendant les cris déchirants de ses fils mourants, en reconnaissant la bassesse de celui qu’elle aime : je ne donnerais pas un denier pour l’empêcher de souffrir, et je ne veux plus vous voir par cela seul que vous l’avez secourue…

Le comte laissa Bianchon plus immobile qu’une statue, et disparut en se dirigeant avec la précipitation d’un jeune homme vers la rue Saint-Lazare, où il atteignit promptement le petit hôtel qu’il habitait et à la porte duquel il vit non sans surprise une voiture arrêtée.

— Monsieur le baron, dit le valet de chambre à son maître, est arrivé il y a une heure pour parler à monsieur, et l’attend dans sa chambre à coucher.

Granville fit signe à son domestique de se retirer.

— Quel motif assez important vous oblige d’enfreindre l’ordre que j’ai donné à mes enfants de ne pas venir chez moi sans y être appelés ? dit le vieillard à son fils en entrant.

— Mon père, répondit le jeune homme d’un son de voix tremblant et d’un air respectueux, j’ose espérer que vous me pardonnerez quand vous m’aurez entendu.

— Votre réponse est celle d’un magistrat, dit le comte. Asseyez-vous. Il montra un siége au jeune homme. Mais, reprit-il, que je marche ou que je reste assis, ne vous occupez pas de moi.

— Mon père, reprit le baron, ce soir à quatre heures, un très-jeune homme, arrêté chez un de mes amis au préjudice duquel il a commis un vol assez considérable, s’est réclamé de vous, il se prétend votre fils.

— Il se nomme, demanda le comte en tremblant.

— Charles Crochard.

— Assez, dit le père en faisant un geste impératif. Granville se promena dans la chambre, au milieu d’un profond silence que son fils se garda bien d’interrompre. — Mon fils… Ces paroles furent prononcées d’un ton si doux et si paternel que le jeune ma-