Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, I.djvu/433

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venir d’une nation est dans la mère, que depuis long-temps l’Université de France s’est donné la tâche de n’y point songer. Voici l’un de ces problèmes.

Doit-on éclairer les jeunes filles, doit-on comprimer leur esprit ? il va sans dire que le système religieux est compresseur : si vous les éclairez, vous en faites des démons avant l’âge ; si vous les empêchez de penser, vous arrivez à la subite explosion si bien peinte dans le personnage d’Agnès par Molière, et vous mettez cet esprit comprimé, si neuf, si perspicace, rapide et conséquent comme le sauvage, à la merci d’un événement, crise fatale amenée chez mademoiselle de Watteville par l’imprudente esquisse que se permit à table un des plus prudents abbés du prudent Chapitre de Besançon.

Le lendemain matin, Philomène de Watteville, en s’habillant, regarda nécessairement Albert Savaron se promenant dans le jardin contigu à celui de l’hôtel de Rupt.

— Que serais-je devenue, pensa-t-elle, s’il avait demeuré ailleurs ? Je puis le voir. À quoi pense-t-il ?

Après avoir vu, mais à distance, cet homme extraordinaire, le seul dont la physionomie tranchait vigoureusement sur la masse des figures bisontines aperçues jusqu’alors, Philomène sauta rapidement à l’idée de pénétrer dans son intérieur, de savoir les raisons de tant de mystère, d’entendre cette voix éloquente, de recevoir un regard de ces beaux yeux. Elle voulut tout cela, mais comment l’obtenir ?

Pendant toute la journée, elle tira l’aiguille sur sa broderie avec cette attention obtuse de la jeune fille qui paraît comme Agnès ne penser à rien et qui réfléchit si bien sur toute chose que ses ruses sont infaillibles. De cette profonde méditation, il résulta chez Philomène une envie de se confesser. Le lendemain matin, après la messe, elle eut une petite conférence à Saint-Jean avec l’abbé Giroud, et l’entortilla si bien que la confession fut indiquée pour le dimanche matin, à sept heures et demie, avant la messe de huit heures. Elle commit une douzaine de mensonges pour pouvoir se trouver dans l’église, une seule fois, à l’heure où l’avocat venait entendre la messe. Enfin il lui prit un mouvement de tendresse excessif pour son père, elle l’alla voir dans son atelier, et lui demanda mille renseignements sur l’art du tourneur, pour arriver à conseiller à son père de tourner de grandes pièces, des colonnes. Après avoir lancé son père dans les colonnes torses, une des diffi-