Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, II.djvu/107

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dans ce mot pour le duc, qui nous écoutait !) Je t’ai vue pendant tout un hiver fourrant ton petit museau dans tous les quadrilles, jugeant très bien les hommes et devinant le monde actuel en France. Aussi as-tu avisé le seul Espagnol capable de te faire la belle vie d’une femme maîtresse chez elle. Ma chère petite, tu l’as traité comme Tullia traite ton frère. — Quelle école que le couvent de ma sœur ! s’est écrié mon père. Je jetai sur mon père un regard qui lui coupa net la parole ; puis je me suis retournée vers la duchesse, et lui ai dit : — Madame, j’aime mon prétendu, Felipe de Soria, de toutes les puissances de mon âme. Quoique cet amour ait été très involontaire et très combattu quand il s’est levé dans mon cœur, je vous jure que je ne m’y suis abandonnée qu’au moment où j’ai reconnu dans le baron de Macumer une âme digne de la mienne, un cœur en qui les délicatesses, les générosités, le dévouement, le caractère et les sentiments étaient conformes aux miens. — Mais, ma chère, a-t-elle repris en m’interrompant, il est laid comme… — Comme tout ce que vous voudrez, dis-je vivement, mais j’aime cette laideur. — Tiens, Armande, me dit mon père, si tu l’aimes et si tu as eu la force de maîtriser ton amour, tu ne dois pas risquer ton bonheur. Or, le bonheur dépend beaucoup des premiers jours du mariage… — Et pourquoi ne pas lui dire des premières nuits ? s’écria ma mère. Laissez-nous, monsieur, ajouta la duchesse en regardant mon père.

— Tu te maries dans trois jours, ma chère petite, me dit ma mère à l’oreille, je dois donc te faire maintenant, sans pleurnicheries bourgeoises, les recommandations sérieuses que toutes les mères font à leurs filles. Tu épouses un homme que tu aimes. Ainsi je n’ai pas à te plaindre, ni à me plaindre moi-même. Je ne t’ai vue que depuis un an : si ce fut assez pour t’aimer, ce n’est pas non plus assez pour que je fonde en larmes en regrettant ta compagnie. Ton esprit a surpassé ta beauté ; tu m’as flattée dans mon amour-propre de mère, et tu t’es conduite en bonne et aimable fille. Aussi me trouveras-tu toujours excellente mère. Tu souris ?… Hélas ! souvent, là où la mère et la fille ont bien vécu, les deux femmes se brouillent. Je te veux heureuse. Écoute-moi donc. L’amour que tu ressens est un amour de petite fille, l’amour naturel à toutes les femmes qui sont nées pour s’attacher à un homme ; mais, hélas ! ma petite, il n’y a qu’un homme dans le monde pour nous, il n’y en a pas deux ! et celui que nous sommes appelées à chérir n’est pas