Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, X.djvu/414

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— Ce n’est pas mon avis, dit Pillerault. Liquide et distribue ton actif à tes créanciers, ne reparais plus sur la place de Paris. Je me suis souvent supposé dans une position analogue à la tienne… (Ah ! il faut tout prévoir dans le commerce ! le négociant qui ne pense pas à la faillite est comme un général qui compterait n’être jamais battu, il n’est négociant qu’à demi.) Moi, je n’aurais jamais continué. Comment ! toujours rougir devant des hommes à qui j’aurais fait tort, recevoir leurs regards défiants et leurs tacites reproches ? Je conçois la guillotine !… un instant, et tout est fini. Mais avoir une tête qui renaît et se la sentir couper tous les jours, est un supplice auquel je me serais soustrait. Beaucoup de gens reprennent les affaires comme si rien ne leur était arrivé, tant mieux ! ils sont plus forts que Claude-Joseph Pillerault. Si vous faites au comptant, et vous y êtes obligé, on dit que vous avez su vous ménager des ressources ; si vous êtes sans le sou, vous ne pouvez jamais vous relever. Bonsoir ! Abandonne donc ton actif, laisse vendre ton fonds et fais autre chose.

— Mais quoi ? dit César.

— Eh ! dit Pillerault, cherche une place. N’as-tu pas des protections ? le duc et la duchesse de Lenoncourt, madame de Mortsauf, monsieur de Vandenesse ; écris-leur, vois-les, ils te caseront dans la Maison du Roi avec quelque millier d’écus ; ta femme en gagnera bien autant, ta fille peut-être aussi. La position n’est pas désespérée. À vous trois, vous réunirez près de dix mille francs par an. En dix ans, tu peux payer cent mille francs, car tu ne prendras rien sur ce que vous gagnerez : tes deux femmes auront quinze cents francs chez moi pour leurs dépenses, et, quant à toi, nous verrons !

Constance et non César médita ces sages paroles. Pillerault se dirigea vers la Bourse, qui se tenait alors sous une construction provisoire en planches et en pans de bois, formant une salle ronde où l’on entrait par la rue Feydeau. La faillite du parfumeur en vue et jalousé, déjà connue, excitait une rumeur générale dans le haut commerce, alors constitutionnel. Les commerçants libéraux voyaient dans la fête de Birotteau une audacieuse entreprise sur leurs sentiments. Les gens de l’opposition voulaient avoir le monopole de l’amour du pays. Permis aux royalistes d’aimer le roi, mais aimer la patrie était le privilége de la gauche : le peuple lui appartenait. Le pouvoir avait eu tort de se réjouir, par ses organes, d’un événe-