Page:Œuvres d’Éphraïm Mikhaël (Lemerre, 1890).djvu/203

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funeste don de la pitié, descendait jusqu’à être l’égal de ses suppliants. Les innombrables douleurs des pays en guerre le déchiraient ; et quand ses armées entraient en campagne, c’était lui qui souffrait de toutes les dures marches, qui saignait de toutes les blessures, qui agonisait de toutes les agonies. Quand on lui annonçait une victoire, il voyait seulement la mort sanglante des villes assaillies, et il entendait au-dessus des fanfares les hautes malédictions des vierges violées, et tout le deuil des pays conquis entrait en son cœur.

« Le jour où il enleva la reine bien aimée, il devint fou de pitié parce que de douloureux amants moururent de son triomphe. Son amour ne servit qu’à lui faire comprendre le triste amour des autres, et, parce qu’il aimait éperdument, il souffrit éperdument pour ses rivaux. Car il ne pouvait — grâce à mes insidieuses leçons — consentir à la cruauté de vivre ; et sachant que la félicité d’un homme est faite des innombrables malheurs d’hommes lointains, il ne voulait plus se résoudre à être heureux. Tel fut ce roi.

« Hier, le hasard (ou plutôt ma sagace et vigilante volonté) fit apparaître devant lui si-