Page:Œuvres d’Éphraïm Mikhaël (Lemerre, 1890).djvu/87

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« Va-t’en ! Nous avons peur de tes yeux pleins d’aurore,
Tu nous ramènerais les vieux songes pervers.
Par toi nous rêverions et nous verrions encore
Des ténèbres d’amour obscurcir l’univers. »

Et les femmes quittant les prés et la fontaine,
Laissant les clairs fuseaux et les vases de miel,
Poursuivent en hurlant l’étrangère hautaine
Qui souille le pays d’une senteur de ciel.

Des clameurs de combat sonnent dans les vallées,
Les bois sont secoués de tragiques frissons,
Et, comme aux rouges soirs des anciennes mêlées,
Les filles aux bras forts courent dans les moissons.

Victoire ! Maintenant une prostituée
Qui regarde le ciel avec des yeux méchants
Traîne le corps sacré de la vierge tuée ;
Le sang surnaturel trouble les lys des champs.

La nuit descend ; les cieux fleuris d’étoiles claires
Resplendissent comme un jardin prodigieux.
Les filles au cœur froid ont senti leurs colères
Grandir sous le baiser du soir religieux.

Leur fureur se ravive à l’odeur des fleurs douces,
À la bonne rumeur de la plaine et des flots.
Farouches, dénouant leurs chevelures rousses,
Elles poussent du pied l’étrangère aux yeux clos.