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LIVRE PREMIER.

manie, que ce mélange indiscret des choses humaines avec les choses divines n’enfante pas seulement une philosophie fantastique et imaginaire, mais de plus l’hérésie. Ainsi rien de plus salutaire que la circonspection en traitant de tels sujets, et c’est assez de rendre à la foi ce qui appartient à la foi.

LXVI. Voilà ce que nous avions à dire sur cette autorité qu’usurpent des philosophies fondées, ou sur les notions vulgaires, ou sur un petit nombre d’observations et d’expériences, ou enfin sur des opinions superstitieuses. Parlons maintenant du choix peu judicieux de la matière même sur laquelle travaillent les esprits, surtout dans la philosophie naturelle. L’entendement est quelquefois infecté de certaines préventions qui viennent uniquement de ce qu’étant trop familiarisé, avec certains procédés, certaines manipulations des arts mécaniques où l’on voit les corps prendre successivement cent formes différentes par voie de combinaison ou de séparation, il est ainsi porté à imaginer que la nature fait quelque chose de semblable dans la totalité de l’univers. De là cette chimérique hypothèse des quatre éléments et de leur concours auquel on attribuait la formation des corps naturels. Au contraire, lorsque l’homme envisage la nature comme libre dans ses opérations, il tombe souvent dans l’hypothèse de la réalité des espèces, soit d’animaux, de végétaux ou de minéraux, ce qui ne mène que trop aisément à cette autre supposition ; qu’il existe des formes originelles de toutes choses, des moules primitifs que la nature tend à reproduire sans cesse, et que tout ce qui s’en éloigne vient des aberrations de la nature, ou des obstacles qu’elle rencontre dans le cours de ses opérations, ou du conflit des espèces diverses, ou de la transplantation de la greffe d’une espèce sur l’autre. Or, c’est de la première de ces deux suppositions qu’est née l’hypothèse des qualités primaires ou élémentaires, et c’est à la seconde que nous devons celle des qualités occultes et des vertus spécifiques, deux inventions qui ne sont au fond que deux simplifications du travail de l’esprit, simplifications sur lesquelles il se repose, et qui le détournent de l’acquisition de connaissances plus solides. Mais les médecins ont travaillé avec plus de fruit en observant les qualités et les actions secondaires, telles que l’attraction, la répulsion, l’atténuation, l’incrassation, la dilatation, l’astriction, la discussion, la maturation et autres semblables. Et si, trop séduits par les deux espèces de simplifications dont je viens de parler, je veux dire les qualités élémentaires et les vertus spécifiques, ils n’eussent sophistiqué leurs excellentes observations sur les qualités secondaires, en s’efforçant de les ramener aux qualités primaires et de prouver qu’elles n’en