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LIVRE PREMIER.

puisse être, n’en est pas moins naturel ; et, s’il a lieu, c’est parce que la cause efficiente fait agir la nature d’une autre manière tout aussi naturelle que la précédente.

Mais si, laissant de côté ces grossières distinctions, on nous disait qu’il existe dans les corps un appétit naturel pour leur contact mutuel, et en vertu duquel ils ne souffrent pas que, l’unité ou la continuité de la nature étant interrompue et coupée, le vide ait lieu ; ou bien encore, si l’on disait que tous les corps tendent à rentrer dans leurs limites naturelles, de manière que si l’on vient à les porter en deçà de ces limites par la compression, ou en delà par la distension, ils font effort aussitôt pour recouvrer leurs premières dimensions et le volume qui leur est propre ; ou enfin, si l’on disait qu’il existe aussi dans les corps une tendance à se réunir à la masse de leurs congénères ou analogues, tendance en vertu de laquelle les corps denses se portent vers le globe terrestre, et les corps rares ou ténus vers la circonférence des cieux ; si l’on disait cela, on indiquerait des mouvements physiques et très-réels. Quant aux autres dont nous parlions plus haut, nous disons que ce sont des mouvements purement logiques et scolastiques, comme il est facile de s’en assurer par la comparaison même que nous venons d’en faire.

Un autre abus non moins dangereux, c’est que, dans les recherches philosophiques, on va toujours s’élançant jusqu’aux principes des choses, jusqu’aux degrés extrêmes de la nature, quoique toute véritable utilité et toute puissance dans l’exécution ne puisse résulter que de la connaissance des choses moyennes. Mais qu’arrive-t-il de là ? qu’on ne cesse d’abstraire la nature (de substituer aux êtres réels de simples abstractions) ; jusqu’à ce qu’on soit arrivé à une matière purement potentielle et destituée de toute forme déterminée, ou qu’on ne cesse de diviser la nature jusqu’à ce qu’on soit arrivé aux atomes ; toutes choses qui, même en les supposant vraies, ne contribueraient presque en rien à adoucir la condition humaine.

LXVII. Il faut aussi préserver l’entendement de la précipitation à accorder ou à refuser son assentiment ; ce sont les excès en ce genre qui semblent fixer les fantômes, et qui les perpétuent au point qu’il devient impossible de les bannir.

Ce genre d’excès se divise en deux espèces : l’un est propre à ceux qui, en prononçant trop aisément, rendent les sciences dogmatiques et magistrales ; l’autre l’est à ceux qui, en introduisant l’acatalepsie, amènent ainsi des spéculations vagues, sans fin et sans terme. Le premier de ces deux excès dégrade l’entendement,