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LIVRE PREMIER.

et des philosophies en puissance, car telles ces démonstrations, telles aussi les spéculations et les théories qui en dérivent. Or rien de plus illusoire et de plus insuffisant dans sa totalité que la méthode par laquelle on veut ordinairement nous conduire des sensations et des faits particuliers aux axiomes et aux conclusions. Cette méthode se divise en quatre parties, auxquelles répondent autant de vices qui leur sont propres. D’abord, les impressions mêmes des sens sont vicieuses, car, ou les sens nous refusent leur secours, ou ils nous trompent, mais on peut remédier à leur défaut par des substitutions, et à leurs illusions par des rectifications. En second lieu, rien de plus irrégulier que la manière dont on extrait les notions des impressions des sens, rien de plus vague et de plus confus que ces notions qu’il faudrait déterminer et limiter avec plus d’exactitude. En troisième lieu, cette sorte d’induction qui procède par voie de simple énumération et qui en déduit les principes des sciences, sans la précaution d’employer les exclusions de faits non concluants et d’analyser suffisamment la nature, celle-là est vicieuse. En dernier lieu, cette méthode d’invention et de démonstration qui consiste à établir d’abord les principes généraux, à y appliquer ensuite les axiomes moyens pour établir ces derniers ; cette méthode, dis je, est la mère de toutes les erreurs, c’est un vrai fléau pour toutes les sciences. Mais ce même sujet que nous avons déjà touché en passant, nous le traiterons plus amplement lorsqu’après avoir achevé cette espèce d’expiation ou de purification, nous exposerons la vraie méthode à suivre dans l’interprétation de la nature[1].

LXX. Mais la meilleure de toutes les démonstrations, c’est sans contredit l’expérience, pourvu qu’on ne s’attache qu’au fait même qu’on a sous les yeux, car si, se hâtant d’appliquer les résultats des premières observations aux sujets qui paraissent analogues aux sujets observés, on ne fait pas cette application avec un certain ordre et une certaine méthode, rien au monde de plus trompeur. Mais la méthode expérimentale qu’on suit de nos jours est tout à fait aveugle et stupide. Aussi, comme ces physiciens vont errants dans des routes incertaines, ne prenant conseil que de l’occasion, ils ne font que tournoyer dans un cercle immense d’objets, et, en avançant fort peu, on les voit tantôt, prenant courage, hâter leur marche, tantôt se lasser et s’arrêter. Mais ce qu’ils cherchaient d’abord, ils ont beau le trouver, ils trouvent toujours quelque autre chose à chercher. Le plus souvent ils ne font qu’effleurer les faits et les observer comme en se jouant, ou tout au plus ils varieront

  1. Le livre II presque entier est consacré à cette exposition. ED.