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NOUVEL ORGANUM.

un peu quelque expérience connue, mais si leurs premières tentatives ne sont pas heureuses, ils se dégoûtent aussitôt et abandonnent la recherche commencée. Que si par hasard il s’en trouve un, qui s’adonne sérieusement à l’expérience et qui fasse preuve de constance et d’activité, vous le verrez s’attacher a une seule espèce de faits, et y rester, pour ainsi dire, cloué, comme Gilbert à l’aimant et les chimistes à l’or. Cette manière de procéder est aussi peu judicieuse qu’étroite et mesquine, car en vain espérerait-on découvrir la nature d’une chose dans cette chose même, il faut généraliser la recherche, et l’étendre aux choses communes.

Si quelquefois même ils prennent la tâche d’établir sur l’expérience certains principes et quelque ombre de science, vous les voyez, toujours emportés par une ardeur indiscrète, se détourner de la route avant le temps et courir à la pratique, non pas seulement pour en recueillir les fruits, mais pour se saisir d’abord de quelque opération nouvelle, comme d’un gage et d’une sorte d’assurance de l’utilité de leurs travaux ultérieurs, c’est quelquefois aussi pour se faire valoir aux yeux des autres et attacher l’estime publique à leurs occupations. Qu’arrive-t-il de là ? qu’à l’exemple d’Atalante, se détournant de la droite route et s’arrêtant pour ramasser la pomme d’or, ils laissent ainsi échapper la victoire. Or, dans la vraie carrière de l’expérience, si l’on veut en étendre les limites par des découvertes, il faut prendre pour modèle la divine sagesse et l’ordre qu’elle a suivi dans ses ouvrages, car nous voyons que le premier jour Dieu ne créa que la lumière, qu’il consacra ce jour tout entier à ce seul ouvrage et ne daigna s’abaisser a aucune œuvre matérielle et grossière. C’est ainsi qu’il faut, rassemblant une multitude de faits de toute espèce, tâcher d’abord d’en extraire la connaissance des causes et des axiomes vrais il faut, en un mot, s’attacher d’abord aux expériences lumineuses, et non aux expériences fructueuses. Les axiomes, une fois bien saisis et solidement établis, fournissent à la pratique de nouveaux moyens, non d’une manière étroite, mais largement, ils traînent après eux des multitudes et comme des armées de nouveaux procédés. Mais remettons à un autre temps ce que nous avons à dire sur les routes de l’expérience, routes qui ne sont pas moins embarrassées, pas moins barrées que celle de l’art de juger. C’est assez pour le présent d’avoir porté nos regards sur la méthode expérimentale vulgaire, et d’avoir fait sentir combien ce genre de démonstration est vicieux. Déjà l’ordre de notre sujet exige que nous traitions actuellement des signes dont nous parlions il n’y a qu’un instant, et par lesquels on peut s’assurer du triste état des sciences et de