Page:Œuvres de Bacon, II.djvu/411

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prit point naissance : car, tant que la discorde prévalut sur la concorde dans la totalité de la matière, l’univers dut subir quelques variations dans son ensemble et dans sa structure même : générations passagères qui eurent lieu avant que Saturne fût mutilé. Mais lorsque, ce premier mode de génération cessant, cet autre mode qui s’opère par le moyen de Vénus ( c’est-à-dire par l’accouplement ) commença, la concorde, qui était alors dans toute sa force, prit tout à fait le dessus; en sorte que l’univers, qui était enfin devenu un tout régulier et durable, un système complet, n’éprouva plus de changement que dans ses parties. Cependant Saturne, quoique détrôné, mutilé et relégué, n’était pas tout à fait mort, et l’opinion de Démocrite était que le monde pouvait retomber dans l’ancien chaos, et qu’il pouvait y avoir à cet égard des espèces d’interrègnes. Le poète Lucrèce souhaite que cette confusion n’ait pas lieu de son temps.

« Puisse la fortune, qui gouverne tout, éloigner de nous cette vaste catastrophe, et le raisonnement, plutôt que l’expérience, nous prouver sa possibilité ! ».

Or, après que le système du monde, en vertu des forces qui l’animaient, eut pris un peu de consistance dans sa totalité, il ne fut pas néanmoins tout à fait exempt de confusion, car il y eut encore pendant quelque temps dans les régions célestes des mouvements très sensibles, qui furent tellement assoupis par la force victorieuse du soleil que le système du monde n’en eut pas moins de stabilité. Il y eut aussi dans les régions inférieures quelques bouleversements passagers, occasionnés par des inondations, des tempêtes, des vents, des tremblements de terre plus universels que ceux qui se font sentir de notre temps, mais quand ces désordres momentanés cessèrent aussi d’avoir lieu, alors un ordre et un calme durables régnèrent enfin dans la totalité de l’univers. Mais on peut dire, au sujet de cette fiction, que si cette fable renferme un système, réciproquement ce système renferme une fable, car nous savons (et cette vérité est un article de foi) que toutes ces hypothèses ne sont que les oracles des sens, qui depuis longtemps ont cessé de dire la vérité. L’Écriture-Sainte nous apprenant que c’est l’Être infiniment puissant et intelligent qui a créé l’ordre, le système et la matière même de l'univers.

XI. — Protée, ou la matière.

Les poètes ont feint que Protée était un pasteur au service de Neptune c’était, selon eux, un vieillard, et de plus un devin d’un ordre supérieur, qui, par sa science aussi étendue que profonde,