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NOUVEL ORGANUM

la connaissance des erreurs du temps passé et des tentatives inutiles faites jusqu’ici. Quelle plus sage représentation que celle qu’adressait à ses concitoyens certain politique au sujet de leur mauvaise administration ? « Ce qui est pour vous, ô Athéniens[1] un sujet d’affliction et de désespoir quand vous tournez vos regards vers le passé, deviendra, sitôt que vous les tournerez vers l’avenir, un motif de consolation et d’espérance car si, ayant rempli tous vos devoirs et usé de toutes vos ressources, vous n’eussiez pu néanmoins réparer vos pertes multipliées, ce serait alors seulement que, n’ayant plus même l’espoir d’un mieux et que vos maux étant désormais sans remède, vous auriez tout lieu de perdre entièrement courage et de désespérer ainsi de la république, mais comme vous ne pouvez justement attribuer à la seule force des choses et au seul ascendant irrésistible des circonstances, les malheurs trop réels qui vous abattent, et ne devez les imputer qu’à vos propres fautes, cette considération même est ce qui doit vous remplir de confiance et vous faire espérer qu’en évitant ces fautes ou en les réparant vous vous élèverez de nouveau à cet état de splendeur et de force dont vous êtes déchus. » De même, si durant tant de siècles les hommes, ayant suivi constamment dans la culture des sciences la vraie route de l’invention, n’y eussent fait aucun progrès, ce serait alors présomption et témérité que d’espérer pouvoir en reculer les limites. Mais les hommes s’étant mépris dans le choix de la route même, et ayant consumé toute leur activité dans les sujets qui devaient le moins les occuper, il s’ensuit que le fort de la difficulté n’est point dans les choses mêmes et ne dépend point des causes sur lesquelles nous n’ayons aucune prise, mais qu’elle est seulement dans l’esprit humain, dans l’usage et l’application qu’on en fait ordinairement, inconvénient qui n’est rien moins que sans remède. Il est donc utile d’exposer les fautes commises ; car autant il y a eu d’erreurs dans le passé, autant nous reste-t-il de motifs d’espérance. Or, ce sujet que nous allons traiter, nous l’avons déjà légèrement touché. Cependant nous croyons devoir le reprendre, mais en peu de mois, dans un style simple et sans art.

XCV. Les philosophes qui se sont mêlés de traiter les sciences se partageaient en deux classes, les empiriques et les dogmatiques. L’empirique, semblable à la fourmi, se contente d’amasser et de consommer ensuite ses provisions. Le dogmatique, tel que l’araignée, ourdit des toiles dont la matière est extraite de sa propre substance. L’abeille garde le milieu, elle tire la matière première des fleurs des champs et des jardins, puis, par un art qui leur est propre, elle la travaille et la digère. La vraie philosophie fait

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