Page:Œuvres de Bacon, II.djvu/74

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phe parmi ces Grecs mêmes, auquel nous pourrions attribuer nos opinions ; du moins quant à certaines parties, et tirer quelque gloire de cette association avec eux ; à peu près comme ces hommes nouveaux qui se forgent une noblesse en se faisant descendre de je ne sais quelles familles anciennes et illustres ; à la faveur de généalogies qu’ils savent fabriquer pour leur compte. Pour nous ; qui, nous appuyant sur la seule évidence des choses, rejetons toute fiction et tout artifice de cette nature, nous pensons qu’il n’importe pas plus au succès réel de notre entreprise de savoir si ce qu’on pourra découvrir par la suite était connu des anciens, et si, en vertu de la vicissitude naturelle des choses et des révolutions du temps, les sciences sont actuellement à leur lever ou à leur coucher, qu’il n’importe aux hommes de savoir si le Nouveau-Monde ne serait pas cette Atlantide dont parlent les anciens, ou s’il vient d’être découvert pour la première fois ; car, lorsqu’on veut faire des découvertes, c’est dans la lumière de la nature qu’il faut les chercher, et non dans les ténèbres de l’antiquité.

Quant à l’étendue de cette critique qui embrasse toutes les philosophies à la fois ; pour peu qu’on s’en fasse une juste idée, l’on sentira aisément qu’elle est mieux fondée et plus modérée que si elle n’attaquait qu’une partie de ces systèmes : car si les erreurs n’eussent pas été enracinées dans les notions mêmes, la partie la plus saine des inventions en ce genre eût nécessairement un peu rectifié la plus mauvaise ; mais ces erreurs étant fondamentales et de telle nature que ; les fautes à imputer aux hommes, ce sont beaucoup moins les faux jugements et les méprises que les négligences et la totale omission des opérations nécessaires, on ne doit plus s’étonner qu’ils n’aient pu atteindre à un but auquel ils ne tendaient pas, exécuter ce qu’ils n’avaient pas même tenté, fournir une carrière où ils n’étaient point entrés.

Ce que notre entreprise peut avoir de nouveau et d’extraordinaire ne doit pas non plus étonner. Si un homme, se reposant sur la justesse de son coup d’oeil et la sûreté de sa main, se vantait de pouvoir, sans le secours d’aucun instrument, tracer une ligne plus droite et décrire un cercle plus exact que tout autre ne le pourrait de la même manière, on pourrait dire que son intention serait de faire comparaison de son adresse avec celle d’autrui ; mais s’il se vantait seulement de pouvoir, à l’aide d’une règle et d’un compas, tracer cette ligne et ce cercle avec plus d’exactitude que tout autre ne le pourrait avec l’œil et la main seuls, alors il se vanterait bien peu. Or, les observations que nous ajoutons ici ne regardent pas seulement les premières tentatives, les premiers pas que nous fai-