Page:Œuvres de C. Tillier - III.djvu/69

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
53
SUR LA RÉFORME ÉLECTORALE.

Mais, pourquoi le mendiant achèterait-il ce qu’il a pour rien ? La commisération des bonnes âmes est un revenu qui ne peut le tromper ; si votre seuil est inexorable pour lui, si votre chien le mord aux jambes, il va frapper à une autre porte. Quand vous lui avez donné son liard et qu’il vous a remercié par une oraison, il est quitte avec vous ; il vit comme le sauvage au milieu de votre société, il n’obéit à personne, il ne craint personne, il n’aime personne, il est, par sa petitesse, insaisissable à la corruption. Quand il s’étale comme un lézard au soleil de la place publique, qu’il broie sous sa dent de requin l’os que vous lui avez jeté, qu’il se repose le long du chemin sur sa besace pleine, il est le plus heureux de tous les hommes. Et ce bonheur, il ne sait à qui il le doit ; son pain quotidien est composé d’une multitude de miettes, qui lui viennent il ne sait d’où. Le mendiant, c’est l’homme d’Horace, qui n’admire rien : le suisse galonné de la cathédrale, le tambour-major du régiment et le préfet en costume, c’est pour lui la même chose ; il ne les estime que pour ce qu’ils valent au creuset. Votre cordon-bleu est le personnage le plus important qu’il connaisse, et votre roquet la puissance qu’il redoute la plus.

Le mendiant est un homme dégradé, dites-vous. Vous vous trompez : c’est un philosophe pratique qui entend bien la vie ; il en a retranché toutes les superfluités et l’a réduite au strict nécessaire : c’est l’oraison dominicale en action ; c’est l’herbe des champs de l’Évangile, qui est chaudement vêtue, qui est bien nourrie et qui ne sait ni coudre ni filer. Le grand philosophe Molière s’étonnait de rencontrer de la probité dans un mendiant ; mais le mendiant est celui de tous les hommes qui est dans la meilleure position pour être probe. Je suis sûr qu’on trouve peu de voleurs parmi les mendiants.

Le mendiant ne paie pas de contributions ; il arrive franco jusqu’au 31 décembre. Qu’est-ce que cela fait ? Les nobles non plus, avant 93, ne payaient pas de contributions, et les prêtres, loin d’en payer, en recevaient.