Page:Œuvres de Descartes, éd. Cousin, tome I.djvu/14

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

ou le don de penser par soi-même est-il réservé à un si petit nombre d’hommes ? ou les grandes combinaisons d’idées sont-elles bornées par la nature, et s’épuisent-elles avec rapidité ? Dans cet état de l’esprit humain, dans cet engourdissement général, il falloit un homme qui remontât l’espèce humaine, qui ajoutât de nouveaux ressorts à l’entendement, qui se ressaisît du don de penser, qui vît ce qui étoit fait, ce qui restoit à faire, et pourquoi les progrès avoient été suspendus tant de siècles ; un homme qui eût assez d’audace pour renverser, assez de génie pour reconstruire, assez de sagesse pour poser des fondements sûrs, assez d’éclat pour éblouir son siècle et rompre l’enchantement des siècles passés ; un homme qui étonnât par la grandeur de ses vues ; un homme en état de rassembler tout ce que les sciences avoient imaginé ou découvert dans tous les siècles, et de réunir toutes ces forces dispersées pour en composer une seule force avec laquelle il remuât pour ainsi dire l’univers ; un homme d’un génie actif, entreprenant, qui sût voir où personne ne voyoit, qui désignât le but et qui traçât la route, qui, seul et sans guide, franchît par-dessus les précipices un intervalle immense, et entraînât après lui le genre humain. Cet homme devoit être Descartes. Ce seroit sans doute un beau spectacle de voir comment la nature le pré-