Page:Œuvres de Descartes, éd. Cousin, tome I.djvu/335

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

du gosier nous fait avoir envie de boire, et ainsi du reste, je n’en pouvois rendre aucune raison, sinon que la nature me l’enseignoit de la sorte ; car il n’y a certes aucune affinité ni aucun rapport, au moins que je puisse comprendre, entre cette émotion de l’estomac et le désir de manger, non plus qu’entre le sentiment de la chose qui cause de la douleur, et la pensée de tristesse que fait naître ce sentiment. Et, en même façon, il me sembloit que j’avois appris de la nature toutes les autres choses que je jugeois touchant les objets de mes sens ; pourceque je remarquois que les jugements que j’avois coutume de faire de ces objets se formoient en moi avant que j’eusse le loisir de peser et considérer aucunes raisons qui me pussent obliger à les faire.

Mais par après, plusieurs expériences ont peu à peu ruiné toute la créance que j’avois ajoutée à mes sens : car j’ai observé plusieurs fois que des tours, qui de loin m’avoient semblé rondes, me paroissoient de près être carrées, et que des colosses élevés sur les plus hauts sommets de ces tours me paroissoient de petites statues à les regarder d’en bas ; et ainsi, dans une infinité d’autres rencontres, j’ai trouvé de l’erreur dans les jugements fondés sur les sens extérieurs ; et non pas seulement sur les sens extérieurs, mais même sur les intérieurs : car y a-t-il chose plus intime ou