Page:Œuvres de Descartes, éd. Cousin, tome I.djvu/336

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plus intérieure que la douleur ? et cependant j’ai autrefois appris de quelques personnes qui avoient les bras et les jambes coupées, qu’il leur sembloit encore quelquefois sentir de la douleur dans la partie qu’ils n’avoient plus ; ce qui me donnoit sujet de penser que je ne pouvois aussi être entièrement assuré d’avoir mal à quelqu’un de mes membres, quoique je sentisse en lui de la douleur. Et à ces raisons de douter j’en ai encore ajouté depuis peu deux autres fort générales : la première est que je n’ai jamais rien cru sentir étant éveillé que je ne puisse quelquefois croire aussi sentir quand je dors ; et comme je ne crois pas que les choses qu’il me semble que je sens en dormant procèdent de quelques objets hors de moi, je ne voyois pas pourquoi je devois plutôt avoir cette créance touchant celles qu’il me semble que je sens étant éveillé : et la seconde, que, ne connoissant pas encore ou plutôt feignant de ne pas connoître l’auteur de mon être, je ne voyois rien qui pût empêcher que je n’eusse été fait tel par la nature, que je me trompasse même dans les choses qui me paroissoient les plus véritables. Et, pour les raisons qui m’avoient ci-devant persuadé la vérité des choses sensibles, je n’avois pas beaucoup de peine à y répondre ; car la nature semblant me porter à beaucoup de choses dont la raison me détournoit, je ne croyois pas me devoir