Page:Œuvres de Descartes, éd. Cousin, tome I.djvu/76

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genre humain a eu tant d’obligations, et à qui la dernière postérité sera encore redevable. Quels honneurs lui a-t-on rendus de son vivant ? quelles statues lui furent élevées dans sa patrie ? quels hommages a-t-il reçus des nations ?… Que parlons-nous d’hommages, et de statues, et d’honneurs ? Oublions-nous qu’il s’agit d’un grand homme ? oublions-nous qu’il a vécu parmi des hommes ? Parlons plutôt et des persécutions, et de la haine, et des tourments de l’envie, et des noirceurs de la calomnie, et de tout ce qui a été et sera éternellement le partage de l’homme qui aura le malheur de s’élever au-dessus de son siècle. Descartes l’avoit prévu : il connoissoit trop les hommes pour ne les pas craindre ; il avoit été averti par l’exemple de Galilée ; il avoit vu, dans la personne de ce vieillard, la vérité en cheveux blancs chargée de fers, et traînée indignement dans les prisons (24). La coupe de Socrate, les chaînes d’Anaxagore, la fuite et l’empoisonnement d’Aristote, les malheurs d’Héraclite, les calomnies insensées contre Gerbert, les gémissements plaintifs de Roger Bacon sous les voûtes d’un cachot, l’orage excité contre Ramus, et les poignards qui l’assassinèrent ; les bûchers allumés en cent lieux pour consumer des malheureux qui ne pensoient pas comme leurs concitoyens ; tant d’autres qui avoient été errants et proscrits sur la terre, sans asile et sans