Page:Œuvres de Louise Ackermann.djvu/187

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Et quand la Vérité les trouble et les obsède,
Tu mets devant leurs yeux ton prisme ou ton bandeau.
Afin de mieux tromper leur âme inassouvie,
Tu prends le nom d’amour en traversant leur vie.
À ta voix ils feront, passagers ici-bas,
Du désir affolé leur boussole suprême.
Dans l’incommensurable ils ouvrent leur compas ;
L’objet de leur poursuite est l’impossible même ;
Il leur faut avant tout ce qui n’existe pas.
Par un courant fatal poussés vers le mirage,
Ayant perdu leur lest, jeté leurs avirons,
D’avance ils sont, hélas ! dévolus au naufrage.
Si la réalité seule est le vrai rivage,
Plutôt que d’aborder, ils s’écrieraient : « Sombrons ! »
Sombrez donc, sombrez tous, les uns après les autres,
Toi qui ne tends qu’au ciel comme toi qui te vautres.
À tous deux l’Idéal ouvre un gouffre enchanté,
Qu’il soit l’amour divin ou bien la volupté.
Mais avant de partir, chacun pour son abîme,
Sous un commun éclair, ne fût-ce qu’un moment,
Le débauché splendide et l’ascète sublime
Se seront rencontrés dans le même tourment.